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plus les mêmes. On n’en est plus à 1870, à cette date des grandes collisions dont les Allemands célébraient l’autre jour encore l’anniversaire en mêlant le nom de M. de Moltke à leurs commémorations.

Le fait est qu’en vingt années il s’est passé bien des choses. Tout a changé, et l’état moral des nations, et leurs rapports, et leurs forces, et les chefs appelés à conduire leurs armées au combat, s’il le fallait. Tout s’est transformé, et c’est là même ce qu’on pourrait appeler une des énigmes du temps ; c’est ce qui met un inconnu de plus dans la situation faite à l’Europe. L’Allemagne, depuis vingt ans, n’a cessé sans doute de maintenir ou de développer un état militaire proportionné à ses ambitions ; mais comme elle, les autres nations ont obéi à la suprême nécessité d’accroître leurs forces, leurs armemens : elles ont rétabli l’égalité ! De plus, dans tous les pays ces armées qui existent aujourd’hui, qui peuvent se rencontrer, sont également nouvelles, elles n’ont jamais fait la grande guerre, elles n’ont d’autre expérience que celle des manœuvres, et pour toutes, l’épreuve du premier feu, de la vraie bataille serait la même. Enfin, ni dans un camp ni dans l’autre, il ne reste plus un seul des anciens chefs militaires qui ont pu conduire des soldats au combat. En Allemagne tout comme en France, les généraux qui auraient à manier des masses colossales étaient en 1870 de simples capitaines, tout au plus des colonels. Ils ont été vaillans et instruits dans leurs grades : c’est autre chose, pour les Allemands comme pour les Français, de mener un demi-million, un million d’hommes en campagne sur un échiquier qui peut embrasser l’Europe entière. Tout est donc nouveau, là est l’inconnu. Qu’en sera-t-il de cet étrange duel préparé ou engagé à chances égales entre des nations qui sont aujourd’hui en paix, qu’un incident peut précipiter dans les conflits ? Qui aura mérité d’attirer ou de fixer la fortune dans son camp ? On se souvient du beau mot du maréchal Bugeaud, émoustillé par une parole un peu sentencieuse de M. Guizot et écrivant avec une virile confiance de son bivouac d’Isly, la veille de la bataille, qu’il prouverait le lendemain que la guerre n’est pas un simple « jeu de la force et du hasard. » L’avantage, dans les batailles nouvelles, restera probablement encore à ceux qui auront su garder ou retrouver, dans des cadres si prodigieusement élargis, ce qui fait la puissance des armées et des nations : l’esprit militaire, la fidélité aux traditions, la discipline, qui fait d’une masse une armée, les dons de l’action et du commandement.

C’est la force des peuples qui veulent vivre de savoir accepter la discipline qui double leur puissance. C’est l’honneur de ceux qui veulent avoir un avenir de savoir se respecter eux-mêmes dans leur passé, dans les hommes qui les ont servis ou illustrés, qui n’ont jamais marchandé leur peine ni leur sang. Qu’on honore donc sans distinction de temps ci de régime des hommes comme Faidherbe qui va avoir sa