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gués ouvriers qui récemment, au congrès socialiste de Bruxelles, mettaient dans leur programme la négation de la patrie. Elle n’est pas avec ceux qui la trompent ; elle est avec ceux qui la servent, et bien plus qu’aux guerres de croyances ou aux querelles stériles, elle s’intéresse à ce qui la réconforte et la touche, aux spectacles de son armée, à ces belles manœuvres qui viennent de s’accomplir dans l’est. Là est pour elle la virile et émouvante réalité !

Qu’est-ce, en effet, que cette campagne de manœuvres qui vient de se dérouler pendant quelques jours dans toute cette zone de Champagne illustrée autrefois par la guerre ? C’est comme un couronnement de quinze ans d’efforts et de sacrifices faits par la France pour relever sa puissance militaire, pour se voir revivre dans son armée nouvelle. Ceci est un peu plus sérieux et intéressant pour le pays que la motion de M. Pochon ou la prochaine interpellation de M. le pasteur Dide sur les menées cléricales. Il s’agit de savoir si on est resté ou si on restera un grand peuple éclairé par l’expérience et le malheur. Jusqu’ici les manœuvres étaient des exercices assurément utiles, instructifs, mais forcément circonscrits et partiels. Celles-ci, par la manière dont elles ont été organisées, par l’extension qu’elles ont prise, par la multiplicité et la complexité des opérations, ont un caractère autrement saisissant, autrement décisif. Elles mettent en mouvement ou en présence sur un théâtre qu’on peut appeler si l’on veut un champ de bataille, plus de 100,000 hommes, quatre corps d’armée, sous la direction supérieure de l’homme qui serait appelé à commander les armées de la France, M. le général Saussier, avec le concours de deux chefs militaires d’élite, M. le général Davout, duc d’Auerstaedt, et M. le général de Gallifet, commandant deux armées opposées l’une à l’autre. L’une de ces armées était censée venir de l’est, l’autre de l’ouest, et elles devaient se rencontrer, elles se sont rencontrées, en effet, autour de Bar-sur-Aube. Ce n’est pas la guerre sans doute avec ses terribles réalités et ses imprévus, c’est du moins ce qui se rapproche le plus de la guerre, ce qui en donne l’idée la plus exacte, la plus complète. Ce qu’ont été, en définitive, dans leurs phases diverses, ces opérations entre corps d’armée, entre les deux armées ensuite, c’est une affaire de stratégie et de tactique entre militaires. M. le général Saussier et ses lieutenans, M. le général Davout, M. le général de Gallifet, sont certainement hommes à tirer parti de leurs forces, à conduire habilement une expérience toujours délicate. Au fond, qui a gagné la bataille, ce n’est pas précisément la question ; ce n’était pas même l’objet de ce simulacre de guerre. Le profond intérêt de ces manœuvres, c’est qu’elles étaient la première épreuve sérieuse de notre organisation militaire.

Depuis près de vingt ans on y travaille avec une patiente persévérance et un esprit de suite qui se sont perpétués pour l’honneur de la France à travers la mobilité des régimes et les oscillations de la poli-