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Quant à la période même de la guerre de 1870, nous avons, comme preuve des manœuvres prussiennes en Italie, la mission que le député Francesco Cucchi alla remplir au camp prussien, afin d’obtenir les secours d’armes et d’argent avec lesquels le parti d’action devait aller attaquer Rome occupée par les troupes françaises[1].

Je ne prolongerai pas cette démonstration du soin apporté par la Prusse dans la poursuite de l’idée consistant à s’emparer de l’esprit des populations italiennes pour les diriger à son gré. Les événemens plus récens sont connus de tous. On se rappelle sans doute que, lors de la mort de Victor-Emmanuel et des graves préoccupations que cet événement si considérable laissait percer, ce fut le prince impérial d’Allemagne[2] qui se chargea de présenter l’héritier du roi Humbert aux peuples d’Italie. Ce prince, qui fut depuis l’empereur Frédéric III, était sur le balcon du palais du Quirinal avec la famille royale, qu’il dominait de sa haute taille. Il souleva dans ses bras le frêle enfant jusqu’à ses lèvres pour lui donner un baiser. Et la foule, assemblée sur la place de Monte-Cavallo, applaudissait frénétiquement, sans songer, certes, à faire le rapprochement de cette saisissante action avec le souvenir des investitures qu’octroyaient en Italie les empereurs germains des temps passés !

Depuis lors, la mainmise de la Prusse sur la politique italienne n’a plus cessé. Il y eut bien, parfois, des alternatives de rapports tendus. Mais ce n’étaient là que des ruses de la politique bismarckienne, qui s’imposait au gouvernement du Quirinal par la rudesse ou par la douceur, selon les nécessités du moment !

La presse italienne, comme l’écrivait M. Minghetti dès 1874, était dans la main de M. de Bismarck[3]. Elle put grossir au gré des desseins de cet homme d’État tous les incidens de l’affaire de Tunis ; ainsi cette question s’envenimait au point d’amener les résolutions par lesquelles la France fournit aux partisans de l’alliance allemande un prétexte suffisant pour le voyage du roi Humbert à Vienne, où elle fut conclue.

Ainsi l’Italie eut ses forces de terre liées par traité à l’Allemagne, comme déjà elle avait ses forces de mer liées, par le penchant de son esprit public, à l’Angleterre.

Voilà donc la double pression à laquelle le ministère di Rudini

  1. Voir le Don Chisciotte du 5 septembre 1889 et presque tous les autres journaux italiens de la même date.
  2. Le même prince royal de Prusse qui, en 1864, préférait l’hospitalité d’un général autrichien à celle du prince Humbert.
  3. Voir sa lettre du 28 octobre 1874, dans le Carteggio politico di M. A. Castelli, t. I, p. 580 à 688.