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Cavour supportait mal tant d’arrogance. Par momens, il éclatait. Voici, par exemple, comment il s’exprimait à l’égard de la presse anglaise dont une partie montrait au Piémont autant de mauvais vouloir que le foreign office :


« Janvier 1859 (sans date de jour.)

« J’ai vu avec douleur ou, pour mieux dire, avec indignation, le revirement opéré par le Times. L’article que contenait le n° du 10 est tellement infâme que j’aurais payé une forte somme pour en souffleter l’auteur. Si les âmes honnêtes et généreuses en Angleterre n’en sont pas indignées, il faut s’en affliger plus pour l’Angleterre que pour nous… »

Cependant les événemens suivaient leur cours. La guerre paraissait de plus en plus inévitable. La proposition de réunir un congrès avait surgi. L’Autriche n’y adhérait qu’à la condition préalable du désarmement du Piémont. L’Angleterre, d’accord avec la Prusse, se fait l’organe de cette proposition offensante ; mais lorsque M. Sackwill West, chargé d’affaires anglais, prononce les mots de « désarmement immédiat de la Sardaigne[1], » la réponse de Cavour, pour être plus parlementaire que celle que l’on prête au général Cambronne, n’est certes pas moins énergique ni moins insolente : « Je réponds que je ne réponds point ! »

Je pourrais aisément multiplier les citations, car l’activité épistolaire de ce grand homme, non moins féconde que celle qu’il déployait dans chacune des branches de son action gouvernementale si intense, offre un vaste champ à qui veut glaner des observations de même nature. Ce que j’en donne me paraît, d’ailleurs, suffire amplement à prouver cette vérité historique que, tandis que le Piémont, d’accord avec la France[2], préparait la délivrance de l’Italie, l’Angleterre appliquait tous ses efforts à faire avorter des projets qui étaient en opposition directe avec sa politique. Elle ne voulait ni l’affaiblissement de l’Autriche, ni la lacération des clauses des traités de 1815, dans lesquelles cette puissance puisait le droit d’opprimer la nation italienne.

Mais ces impressions pourraient paraître insuffisantes si elles n’étaient recueillies que dans le cercle de l’action piémontaise officielle dont Cavour était l’âme et le cerveau. On pourrait croire

  1. Voir la lettre de Cavour à Massimo d’Azeglio (qu’il ne faut pas confondre avec Emmanuel d’Azeglio) en date du 14 avril 1859.
  2. La France savait cependant déjà qu’en soutenant l’Italie elle risquait une guerre dans laquelle, outre l’Autriche, elle pouvait avoir à combattre la Prusse et tous les autres États germaniques. « II, — l’empereur, — m’a dit que toute l’Allemagne est contre lui. » (Lettre de Massimo d’Azeglio à Cavour, de Paris, 17 avril 1859, deux jours avant l’ultimatum autrichien.)