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gré d’avoir voulu détruire la moindre trace de celles que j’avais pu concevoir à l’occasion du traité de Paris. Au fond, les franches déclarations de lord Clarendon ne m’ont rien appris de nouveau, car il y a longtemps que je m’aperçois que la cause italienne a complètement perdu les sympathies du gouvernement anglais. J’en suis affligé, mais non découragé. L’alliance avec l’Autriche est maintenant la base de la politique anglaise. Lord Palmerston revient, sur la fin de sa carrière, aux erremens qu’il a suivis lorsque, dans son jeune âge, il débutait sous les auspices de lord Castlereagh. Je crois que c’est une grande faute dont l’Angleterre aura tôt ou tard à se repentir ; mais je reconnais que nous n’avons aucun moyen pour l’empêcher de la commettre… »

Au commencement de l’année 1858 avaient eu lieu la chute du ministère whig et l’avènement du ministère tory, dont Cavour juge la politique à son égard comme il suit :


« 23 avril.

« Si le gouvernement anglais veut nous abandonner de la manière la plus ignoble, il est le maître de le faire. Mais nous avons du moins le droit d’exiger qu’il soit poli[1]. »

Cette année, quant aux impressions de Cavour à l’égard de la politique anglaise, devait finir comme elle avait commencé. Voici ce qu’il écrivait un mois, jour pour jour, avant les paroles de blâme que Napoléon III adressa, le jour de l’an de 1859, à l’ambassadeur d’Autriche et qui eurent tant de retentissement.


« Turin, 1er décembre 1858.

« Nous ne pouvons pas espérer de modifier la politique de l’Angleterre en notre faveur. Elle est devenue autrichienne ; il faut bien en prendre son parti. Salvagnoli m’a raconté ses conversations avec lord Palmerston et lord John Russell. Ils sont, en paroles du moins, cent fois pires que les tories… »

En janvier 1859, l’Angleterre s’était signalée par la véhémente admonestation que M. de Cavour avait reçue de sir J. Hudson[2] à propos du discours royal dans lequel Victor-Emmanuel constatait « les cris de douleur » de la nation italienne. Le roi lui-même n’avait pas été ménagé dans cette mercuriale d’une sévérité si excessive. Le gouvernement anglais ne craignait pas de l’accuser « d’ambition ou d’imprudence » et de le montrer comme « soufflant la révolution au cœur des sujets des États voisins. »

  1. Lord Malmesbury, en qualifiant la conduite du cabinet de Turin, s’était servi, dans une note, du mot unfair, qui équivaut à peu près à déloyale.
  2. Voir les dépêches de lord Malmesbury des 9, 12 et 13 janvier 1859.