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les collègues autrichiens avec qui ses rapports étaient naturellement très tendus, tandis que les Russes, à qui il venait de faire la guerre, prenaient beaucoup de goût pour lui. « Je m’aperçois, lui disait le prince Orlof dans un moment d’expansion, que nous n’étions ennemis qu’à demi. J’espère que nous ne tarderons pas à être entièrement amis[1]. »

A leurs femmes et aux femmes des personnages influens de leur pays, que l’intérêt qui s’attachait aux travaux du congrès attiraient en ce temps à Paris, il leur faisait une cour assidue, à laquelle il ne dédaignait pas de faire participer leur caniche, quand elles en avaient un. « Je soigne les Hollands autant que je peux, écrivait-il. Je vais déjeuner en petit comité avec eux et je tâche d’être aimable avec tout le monde, même avec le chien de milady. Jugez de mon succès : je suis déjà parvenu à lui faire mettre ses grosses pattes sur mon bel habit tout neuf[2]. »

Mais c’est surtout sur l’empereur qu’il s’efforçait d’exercer son charme, et, dans l’entourage de ce souverain, sur quiconque, homme ou femme, pouvait avoir l’oreille du maître.

Il serait trop long de passer en revue tous les plans qu’il soumettait à Napoléon III et qui étaient toujours accueillis avec bienveillance : il s’agissait tantôt des duchés de la Haute-Italie, dont l’empereur, dès cette époque, désirait donner un morceau au Piémont ; tantôt des États du pape et du régime plus libéral qu’il conviendrait d’y organiser ; tantôt aussi des principautés danubiennes, dont l’indépendance et l’union étaient une question qui se reliait, dans la pensée du comte et de son impérial interlocuteur, à celle de l’indépendance italienne. Dans toutes ces questions, moins celle de la Moldo-Valachie, à laquelle l’Angleterre se montrait systématiquement hostile, son collègue anglais, lord Clarendon, que dans ses lettres il désigne souvent par le nom de l’homme au menton, parce que le noble lord avait l’habitude de se frotter le menton quand il hésitait à parler, comme Napoléon III caressait sa moustache dans des occasions analogues ; dans toutes ces questions, dis-je, dans celles du moins qui se rapportaient directement à l’Italie, mais surtout aux États pontificaux, son collègue anglais se prêtait souvent à ses vues, cherchant même à influencer l’empereur, et rarement il y faisait obstacle.

Aussi l’entente de Cavour avec la diplomatie anglaise fut-elle parfaite, tant que dura le congrès, jusques et y compris la célèbre séance du 31 mars, dans laquelle il eut la gloire de poser la question italienne, qui, en réalité, était étrangère à celles que le congrès

  1. Lettre du 2 mars 1856.
  2. Autre lettre de la même date, 2 mars 1856.