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exister ; et le fait est de nature à faciliter singulièrement sa justification personnelle.

Ce que l’on peut discuter avec tout le respect qui est dû à sa haute et d’ailleurs très sympathique personnalité, c’est la valeur intrinsèque du résultat qu’il a voulu poursuivre ; c’est le plus ou moins bien jugé, de sa part comme de la part de beaucoup de ses compatriotes, des mérites de cette protection anglaise qu’il s’est fait un devoir patriotique d’obtenir d’une manière aussi certaine que possible.

Je vois d’avance mes amis d’Italie crier à l’hérésie ; mais il faut que je dise une chose que je crois être une belle et bonne vérité, à savoir que je crains fort que leur confiance dans la coopération anglaise, au cas d’une guerre italienne, ne soit qu’un vieux préjugé, à ranger à côté de celui de leur crainte d’une guerre française, pour raisons de pouvoir temporel.

Certes, l’Angleterre a rendu de grands services à la cause de l’indépendance italienne ; mais pour bien apprécier le caractère de ces services, il s’agit de savoir quand et comment ils furent rendus.

Pour démêler les origines de la question, il faut remonter au congrès de Paris en 1856 ; puis, suivre attentivement l’action de la politique anglaise en Italie, jusqu’à l’époque où la nécessité de cette action n’a plus eu lieu de se faire sentir d’une manière intense, c’est-à-dire vers 1863 ou 1864. Il faut avant tout lire la correspondance personnelle très suivie que le comte de Cavour entretenait avec le marquis Emmanuel d’Azeglio, ministre du roi de Sardaigne à Londres, et qui commence précisément à l’époque du congrès de Paris. Dans ces lettres, que le grand homme d’État piémontais a toutes écrites de sa main, avec la mention particulière et confidentielle[1], il racontait des séances officielles, comme de ce qu’on pourrait appeler les coulisses du congrès, tout ce qu’il en fallait pour faire bien saisir à son représentant en Angleterre les péripéties du travail de préparation auquel il se livrait en vue de l’affranchissement de l’Italie : il voulait ainsi le mettre en état de le bien seconder dans ses conversations avec les hommes politiques anglais de tous les partis. On y voit, outre la prodigieuse puissance de travail de cet homme illustre, les admirables ressources d’ingéniosité et de souplesse dont il était doué, ressources dont l’emploi n’avait qu’un mobile et qu’un but : le succès de ses grands et patriotiques projets. Il s’appliquait à plaire à tous et il y réussissait à merveille : à ses collègues du congrès, moins, bien entendu,

  1. Voir la Politique du comte de Cavour, — de 1852 à 1866. — Lettres inédites avec notes. Par Nicomède Bianchi. Turin. Chez Roux et Favale. 1885.