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irrédentiste de l’Italie. Pour que l’Autriche devînt le vrai « ami sûr » dont l’Allemagne avait besoin, il fallait que l’Italie vînt leur apporter un concours de forces nouveau en sa qualité de troisième alliée, en même temps qu’une garantie territoriale, naturellement exclusive des projets de conquête de territoire autrichien qu’on avait pu lui prêter à Vienne[1]


On le voit, l’Italie n’était pas sans excuse lorsqu’elle s’allia pour la première fois aux puissances centrales ; et M. Crispi a parfaitement raison de vouloir la justifier, en présence de la sévérité, peut-être irréfléchie, avec laquelle son évolution diplomatique fut alors jugée en France.

Autres temps, autres mœurs pourtant : comme l’a si bien observé M. Bonghi, dans son article du Fanfulla cité plus haut, « ces sortes d’alliances ne peuvent durer un long temps sans dommage. » Il ajoutait, pour expliquer sa pensée, que « passé un certain nombre d’années, de nouveaux faits surgissent, » et il en déduisait, comme « naturelle conclusion, » qu’il ne fallait pas renouveler la triple alliance. Des « faits nouveaux » avaient, en effet, « surgi, » et, dans le nombre, il y en avait de nature telle que, peu avant lui, M. Jacini avait pu s’en autoriser pour écrire ces lignes, auxquelles de récens incidens survenus en Russie et en France semblent assigner aujourd’hui une sorte de sens prophétique : « La guerre sera-t-elle empêchée par le fait du renouvellement de la triple alliance ? Ce serait possible, si la France restait seule devant la coalition. Mais si la triple alliance se renouvelait, elle susciterait nécessairement la formation d’une alliance à deux entre la France et la Russie, toutes deux mécontentes à divers titres et toutes deux visées par elle[2]. »

La situation, de 1882 à 1891, s’était sensiblement modifiée : les mobiles de l’Italie ne pouvaient plus être les mêmes. Celui, en particulier, du fantôme clérical, n’avait certes plus aucune raison d’être. Dans cet intervalle, le régime républicain s’est affermi en France, un régime républicain prenant précisément pour base de sa politique, à l’intérieur comme à l’extérieur, l’anticléricalisme ; un régime républicain qui n’a pas craint de chasser les congréganistes des écoles et les moines des couvens ; un régime pendant lequel, chaque année, la proposition de supprimer l’ambassade près le saint-siège gagne de nouvelles voix à la chambre, au point de laisser redouter qu’un jour prochain peut-être elle en vienne à réunir la majorité ; un régime, enfin, sous lequel un ministre des

  1. Toute cette genèse de la triple alliance a été très franchement exposée par le prince de Bismarck, dans le grand discours qu’il prononça au Reichstag le 5 février 1888 dans la discussion relative au renouvellement du septennat militaire.
  2. Voir l’article déjà cité de.M. Jacini dans la Nuova Antologia du 16 février 1891.