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contrairement à toute vraisemblance, cachait mal son dépit des événemens de 1870. Elle se ressouvenait, plus qu’il n’eût été nécessaire, d’avoir vu les Italiens, sur l’amitié de qui elle avait cru pouvoir compter, profiter pour prendre Rome d’assaut ; de la douloureuse circonstance où ses désastres l’obligeaient d’en éloigner les troupes qui l’occupaient. C’est sur ce dépit que le parti clérical français, notamment sous les gouvernements de M. Thiers et du maréchal de Mac-Mahon, s’appuyait pour faire des manifestations qui devaient nécessairement inquiéter l’unitarisme italien. L’Angleterre protestante, elle aussi, et, chose plus remarquable encore, sous le ministère libéral de M. Gladstone, avait manifesté sa désapprobation. M. Crispi lui-même l’avoue encore aujourd’hui lorsqu’il fait rappeler par ses journaux « les très vives remontrances du foreign office contre le transfert de la capitale de Florence à Rome, détermination susceptible d’exciter une grande agitation en Irlande[1]. »

La question de Rome n’était donc pas réglée. A défaut des catholiques de France, les catholiques d’Allemagne pouvaient la poser d’un instant à l’autre, si les habiles menées du chancelier allemand y trouvaient un intérêt. D’autre part, les mêmes menées avaient réussi à créer en Italie un état d’esprit qui y faisait redouter tout ensemble une agression française, en réponse aux déclamations soulevées par l’occupation de Tunis, et une agression autrichienne, en représaille des menaçantes manifestations de l’irrédentisme. C’était beaucoup plus qu’il n’en fallait pour pousser l’Italie à se jeter dans les bras de l’Allemagne. De ses trois adversaires du moment, elle en neutralisait deux en obtenant, pour prix du concours qu’elle leur apportait comme alliée, la garantie non-seulement de son territoire, mais encore de son unité. Et quant au troisième, elle se mettait, par ses alliances, à l’abri des projets belliqueux que, vrais ou faux, elle lui avait supposés.

Voilà les origines vraies de la détermination par laquelle l’Italie, en quelque sorte à son insu et à son corps défendant, comblait les vœu du chancelier allemand à qui son alliance était devenue indispensable depuis que « l’ami sûr, » qu’il avait dû chercher à Saint-Pétersbourg contre le mécontentement de la France après le traité de Prague, devenait à son tour mécontent après le traité de Berlin ; si bien que le chancelier avait dû se mettre en quête d’un « nouvel ami sûr, » l’Autriche, pour se prémunir contre lui. Mais ce nouvel ami resterait douteux tant qu’il devrait, avec les forces de l’Allemagne, unies seules aux siennes, courir le risque d’une grande guerre avec la Russie en même temps que celui d’une attaque

  1. Voir la Riforma du 10 août 1891.