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notre adversaire déclarée tant qu’elle n’aura pu briser notre unité nationale, en rétablissant le pape sur le trône temporel d’où nous l’avons fait descendre. C’est ce que j’ai expliqué par deux fois dans les écrits qu’a publiés la Contemporary Review. Et encore, ces écrits, dont on a tant parlé, ne contenaient-ils pas une nouvelle et décisive avance faite à la France ? Ne lui disais-je pas : Cessez de vous attarder dans la poursuite d’un irréalisable rêve de politique cléricale, et jetez-vous dans les bras amis que nous vous tendons de tout cœur…

Voilà ce que M. Crispi, dans une couple d’années, plus tôt même peut-être, dira et fera dire par ses amis et par les ennemis du ministère qui sera alors au pouvoir. Et sa parole, appuyée des documens qu’il collectionne, depuis sa lettre au Rappel jusqu’à ses articles de la revue anglaise, risquera d’être crue. N’est-il donc point vrai que cette dernière manifestation de son esprit de ressources a été, bien à tort, considérée comme une chose absurde ?

Un seul point de sa thèse est juste, et c’en est le point de départ : il a parfaitement raison lorsqu’il dit que la cause efficiente, unique en quelque sorte, de la présence de l’Italie dans l’alliance des puissances germaniques, c’est la question de Rome. L’affaire de Tunis n’a été que la circonstance occasionnelle de la déplorable détermination qui, en 1882, lui fit solliciter son admission dans cette ligue. La chancellerie allemande sut exploiter très habilement la terreur, superstitieuse bien plus que fondée, qu’a l’unitarisme italien de se voir enlever Rome. Elle inspirait, dans le courant de 1881, les articles furibonds de la Post de Berlin, démontrant que la situation du pape n’était ni digne ni sûre en Italie, et engageant sa sainteté à se réfugier à Fulda. Elle faisait mine de renouer des relations officielles avec le saint-siège, ce qui fut considéré en Italie comme un symptôme tout à fait alarmant. La question romaine, au surplus, n’avait jamais été résolue dans les chancelleries européennes. L’Autriche, catholique, a toujours vu le roi d’Italie à Rome d’assez mauvais œil, pour que l’empereur François-Joseph n’ait jamais pu se décider à s’y rendre pour l’accomplissement d’un devoir de courtoisie cependant bien impérieux. On se rappelle, en effet, que le roi Humbert et la reine Marguerite ont fait, en 1881, une visite à la cour d’Autriche. Or, cette visite, même après neuf années d’alliance, n’a pas été rendue. Déjà, il convient de le noter, le vieil empereur Guillaume Ier lui-même, en 1874, n’avait consenti à rendre qu’à Milan, au lieu de Rome, la visite qu’en 1873 il avait reçue du roi Victor-Emmanuel à Berlin. La France, de son côté, bien qu’elle n’ait jamais songé à rétablir le pouvoir temporel, comme M. Crispi ne craint pas de l’affirmer,