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devoir garantir sa dynastie ; mais il serait absurde de croire que le prestige de la couronne n’aurait pas à en souffrir. Un souverain, quelque aimé de ses sujets qu’il puisse être, n’encourt jamais impunément leur mécontentement. Auraient-ils lieu d’être mécontens de la couronne si, par le fait d’une politique qu’on pourrait tendre à lui attribuer, il arrivait que des calamités vinssent à les frapper ? Toute la question est là. Mais comment pourraient-ils n’être point mécontens en pareil cas, lorsque la ligne politique à laquelle ils devraient leurs souffrances leur serait présentée par l’opposition comme ayant été conçue moins dans un intérêt national que dans des vues dynastiques ?

M. di Rudini, dans la phraséologie vague qu’il a adoptée depuis qu’il dirige les affaires extérieures de son pays, évite toujours de mettre les points sur les i. C’est ce qu’il a fait encore dans sa déclaration au sénat que l’on vient de lire. Comme s’il sentait que l’opinion publique ne lui saurait nul gré d’apprendre brutalement que le renouvellement de la triple alliance est un fait accompli et sur lequel il n’y a plus à revenir, il a employé, pour l’annoncer, cette prudente figure de rhétorique ministérielle : « Avant que les anciens traités viennent à échéance, les nouveaux seront déjà en vigueur depuis longtemps. » On sent, dans cette formule timide, l’appréhension du qu’en dira-t-on. Mais plus encore se fait-elle sentir, cette appréhension, dans le silence absolu qu’il garde sur la durée du nouveau lien contracté par l’Italie. Le fait, très grave, de l’annonce de cette durée, il a préféré le placer sous l’abri protecteur d’une responsabilité anglaise, de même d’ailleurs que, dans le début de son discours que j’ai négligé de transcrire, c’est de l’annonce d’un accord italo-anglais qu’il s’est couvert pour oser affirmer le renouvellement de la triple alliance. C’est donc dans ces termes que, par un télégramme de Londres, on a fait savoir à l’Italie pour combien d’années ses destinées sont de nouveau liées à celles des puissances germaniques :

« Londres, 30 juin. — Le Standard annonce officiellement que le traité de la triple alliance a été signé, avec certaines modifications, pour une période de six années[1]. »

Six et neuf font quinze. L’Italie aura donc immobilisé, pendant quinze ans, tous ses intérêts, politiques, militaires, économiques, sociaux, tous, dans un même cercle ; tous, comme si dans un temps aussi long, il ne pouvait pas se produire tel ordre de faits exigeant qu’elle pût se trouver libre de leur imprimer une autre direction ! Mais de quel nom peut se nommer un semblable système d’alliance à perpétuité ? Le nom de sainte-alliance est usé

  1. Secolo du 2 juillet 1891.