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être autre que le territoire alsacien-lorrain. Comment, dans ces conditions, oser espérer que l’opinion se tromperait sur cette apparence de non-garantie des conquêtes allemandes ? Voilà pour la forme.

Quant au fond, il y avait, comme je viens de le dire, plus d’habileté dans le mode de révélation adopté par le ministère. Mettre le renouvellement de la triple alliance sous l’égide du nom anglais ; faire, en quelque sorte, de ce renouvellement le corollaire indispensable d’une alliance anglo-italienne, c’était un moyen assez heureux de tenter de le rendre excusable par l’opinion du pays. L’Angleterre, en effet, est très populaire en Italie. Elle y passe, à tort ou à raison, pour avoir fait plus que tout autre, plus que la France elle-même, pour l’indépendance italienne. La probabilité d’un secours anglais y est considérée comme le meilleur gage de sécurité que la péninsule puisse espérer en cas de guerre. Présenter le renouvellement de l’alliance germanique comme une sorte de condition mise à l’obtention d’une alliance avec l’Angleterre, c’était donc avoir l’espoir de fermer la bouche à l’opposition radicale ; et cela d’autant plus que l’annonce de l’adhésion de l’Angleterre à la triple alliance devrait inévitablement provoquer dans une partie de la presse française des explosions de colère et même d’injures à l’adresse de cette puissance, dont l’alliance a toujours eu les sympathies des radicaux italiens eux-mêmes.

Toutefois ces artifices de langage furent facilement percés à jour, parce que, dirais-je, s’il m’était permis, écrivant en français, d’employer une de ces locutions familières qui vont si bien au tour d’esprit italien de M. Bonghi, ils étaient « cousus de fil blanc. »

Le parti radical italien compte dans son sein des hommes d’un esprit très pénétrant ; il leur fut facile de comprendre que l’alliance britannique, dont toute la presse ministérielle, après le Corriere della Sera, menait tant de bruit, n’était qu’un leurre ; qu’elle était un expédient du moment, destiné à neutraliser l’opposition à laquelle la continuation de l’alliance germanique se heurtait dans le sentiment de toutes les classes de la population italienne, sans même en excepter les chefs de l’armée[1].

Dès lors, il fut jugé qu’il n’était plus temps de s’attarder à un vain échange de propos amicaux entre ministres et radicaux. Dans une réunion plénière tenue le 16 juin au cercle radical, il fut décidé qu’une agitation contre la triple alliance serait provoquée dans tout le pays ; on eut soin d’y rédiger un programme excluant

  1. S’il était possible de le faire sans compromettre personne, je pourrais citer des paroles très vives, dites et même écrites par des généraux et des amiraux, ne laissant aucune espèce de doute sur ce point spécial.