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publié, même dans le cas où il ne serait pas renouvelé[1] ? » Fallait-il croire qu’à l’heure où elle se sentait malmenée par l’Allemagne et appréhendait à la fois des agressions de France et d’Autriche, l’Italie s’était livrée à discrétion à la chancellerie de Berlin ? que le chancelier de fer lui avait imposé des engagemens assez compromettans pour que la mention qui pouvait en être faite dans le traité alors intervenu fût de nature à ne pouvoir jamais être révélée ? La France se trouvait donc en présence d’un traité nécessairement secret, et il s’agissait pour elle, en aidant financièrement l’Italie, d’aider l’un des signataires de ce traité à améliorer en même temps sa position au point de vue militaire. Or, comme l’a écrit quelque part M. Léon Say, et en faisant même abstraction de la situation particulière de la France vis-à-vis de l’un des deux alliés de l’Italie, « les traités secrets sont toujours menaçans pour les puissances qui en sont exclues. »

Quoi qu’il en soit, le ministère italien prenait acte de ces offres sous condition du monde financier français et disait s’en tenir pour offensé. Il n’était pas rare, en ces jours-là, d’entendre des membres du cabinet Rudini épancher dans l’intimité leur « douleur » de voir la France traiter l’Italie avec une telle rigueur et un tel sans-gêne, — la France, qu’on le note bien. Il ne s’agissait plus d’une maison de banque quelconque agissant, de son propre mouvement, avec la prudence, fondée ou non, qu’elle jugeait nécessaire au succès financier en lui-même des affaires à traiter ; il s’agissait de bien autre chose : c’était le gouvernement français qui offensait ainsi l’Italie et frappait ses affaires d’un inexorable veto sur le marché financier de Paris.

Pour ceux qui avaient l’honneur d’approcher les ministres et d’être témoins impartiaux de ces épanchemens intimes, il devenait presque évident que cette manière de raisonner était la conséquence d’un plan déjà combiné ; c’était une manière de mettre en réserve des argumens pour servir à démontrer en temps opportun que, si l’on se détournait une fois pour toutes de la France, c’est que la France l’aurait bien voulu et ne devrait s’en prendre qu’à elle-même. Il faut noter, pour l’intelligence de la situation, que c’était dès la fin de mars que M. di Rudini et ses collègues tenaient ce langage. Or, à ce moment, le ministère Rudini avait à peine six semaines d’existence. Il n’avait donc accordé à l’esprit français, rendu défiant par les événemens antérieurs, que six semaines pour se raviser.

Cependant les nouveaux ministres du roi Humbert inspiraient personnellement de vives sympathies en France ; on y croyait

  1. Voir la Tribuna du 6 mars 1891.