Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/40

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

suivi toute la session, en acceptant un ministère à la fin, j’aurais l’air d’avoir vendu les votes de mon parti dans un but d’ambition personnelle. Vois la division des royalistes, à laquelle notre conduite a donné lieu ; vois la difficulté de faire voter les plus ardens avec les ministériels lors des prochaines élections. Vois que leur animosité leur ferait lever l’étendard contre moi plus que contre tout autre. Vois où j’irais m’enfourner. » Et peu de jours après, il ajoutait : « On parle beaucoup de ton mari pour un ministère ; n’en crois rien. Il n’en est autrement question que comme d’un projet dont il sera toujours fort loin de presser l’exécution et qui n’est pas assez du goût de quelques autres pour qu’il aboutisse par leur seul fait. Sois donc tranquille… On ne peut répondre pour l’avenir, mais d’ici à trois ou quatre mois tu n’as rien à craindre : tout ce qu’on raconte n’a aucun fondement… » Il y avait dans tout cela un peu de diplomatie.

L’alliance ne subsistait pas moins. Comment et à quel moment deviendrait-elle une réalité plus sensible et plus précise ? On ne le savait pas encore. On attendait visiblement les élections qui allaient se faire à l’automne de 1820, qui devaient être la première épreuve de la loi nouvelle, du double vote, et qui pouvaient hâter ou ralentir le mouvement. Par le fait, ces élections de l’automne de 1820 suivaient, elles aussi, la logique du temps et de la situation créée depuis quelques mois. Sous la loi de 1817, les élections allaient aux libéraux ; sous la loi nouvelle, elles allaient en grande majorité aux royalistes. Elles étaient peut-être d’autant plus royalistes qu’elles s’accomplissaient sous l’impression d’un événement heureux, la naissance de l’enfant posthume du prince assassiné, du duc de Bordeaux, qui semblait être un dernier sourire de la fortune pour la monarchie des Bourbons. Dès lors M. de Richelieu, M. de Serre, M. Pasquier, sentaient qu’il n’y avait plus à reculer, qu’il fallait, avant d’aborder une session nouvelle, se décider à traiter avec les chefs royalistes, ne fût-ce que pour modérer les ardens et les impatiens du parti. C’était assez curieux. M. Corbière, appelé de Bennes, ne se hâtait pas de se déranger, prenait son temps et répondait sans façon au garde des sceaux : « Vous me traitez comme un mauvais payeur en m’offrant de partager le délai qui nous reste. Je profiterai de votre condescendance sans aller au-delà. « Appelé également de Toulouse, M. de Villèle arrivait de son côté. On entrait aussitôt en négociation. Malheureusement on ne négociait pas sans arrière-pensées et sans malentendus. M. de Richelieu gardait toujours cette idée fixe de maintenir intact son ancien cabinet et de faire une petite place telle quelle aux nouveaux-venus dans le ministère. M. de Villèle jugeait assez dédaigneusement les