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hétérogènes, produit de ses habiles combinaisons électorales. Une majorité de circonstance l’avait renversé ; une majorité de coalition pouvait le ramener. Le ministère Rudini était exposé à sombrer dans la première tempête parlementaire qui viendrait à éclater avant qu’il eût eu le temps de recruter dans le centre les élémens d’une majorité. Pour l’instant, il n’avait pas plus d’attaches solides dans la chambre que dans le pays. Il est de droite en grande partie, tandis que pays et chambre sont manifestement de gauche. Le seul élément de gauche pure qu’il compte dans son sein, M. Nicotera, n’avait, personnellement, avec lui qu’un groupe d’une vingtaine de députés, sur les 123 dont la gauche parlementaire se compose ; les 100 autres environ obéissaient, les uns à M. Zanardelli, très douteux, les autres à M. Crispi, très hostile nécessairement. Hostiles aussi étaient les 80 députés formant le groupe piémontais auquel le nouveau cabinet n’avait pas fait, dans sa composition, une part qui suffît à le gagner. Restaient les centres, cette matière si malléable entre les mains du ministre de l’intérieur. À combien de membres de ce groupe, aussi nombreux que flottant, la perspective des futures faveurs de M. Nicotera, secondé par M. Branca, qui est centre gauche, parviendrait-elle à faire oublier les faveurs toutes récentes encore de M. Crispi ? Là était Le nœud vital pour le ministère. En attendant, il n’y avait de réellement sûres que les 50 ou 60 voix de droite pure inféodées à M. di Rudini, les 50 ou 60 voix de gauche et de centre gauche dues tout d’abord à l’effort combiné de MM. Nicotera et Branca, et, si l’on savait les gagner par une attitude politique correcte, les 50 ou 60 voix de l’extrême gauche dont l’énergie pouvait impressionner le gros des centres, si facile à intimider, et l’empêcher de se livrer par surprise à quelque retour offensif favorable à M. Crispi.

Il est donc certain que, pendant les premières semaines de son existence, la vie du ministère Rudini-Nicotera a dépendu de l’extrême gauche. Celle-ci n’avait qu’une confiance très limitée dans un cabinet qui comptait neuf ministres de droite sur onze, confiance que les deux seuls ministres de gauche qui en fissent partie étaient peu de nature à augmenter. Cependant elle avait une telle aversion pour un retour possible de M. Crispi, que, sans égard pour les multiples incompatibilités de sentimens qui la séparaient des successeurs de cet homme d’État, elle consentait à leur donner l’indispensable appoint de ses voix ; mais elle y mettait pour condition qu’ils maintinssent fermement leur programme d’économies, — d’économies militaires notamment, — et qu’ils se montrassent disposés à laisser venir l’expiration de la triple alliance sans la renouveler.

Pour les économies, les nouveaux ministres ont fait sincèrement ce qu’ils ont pu et continuent encore de le faire. Dans l’ordre de