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saints sont mises en pièces ; les tableaux, œuvres des plus grands maîtres, sont arrachés des murs ; les vitraux sont brisés. La foule dans sa furie répand sur le parvis les hosties consacrées, boit dans les calices d’or, à la santé des gueux, le vin destiné au sacrifice ; brûle les missels, livre les vieux manuscrits du moyen âge aux flammes et se sert des huiles saintes pour graisser ses chaussures. En quelques heures le plus beau temple des Pays-Bas n’est plus qu’une horrible ruine, une ruine souillée dans ses plus intimes mystères par l’ignoble orgie populaire. Au bout de quelques jours quatre cents temples ou couvens, ravagés d’une extrémité à l’autre des Flandres, ont subi le même sort.

Ce n’était pas là ce que voulaient les nobles. La plupart se rejetèrent effrayés en arrière, et la ligue, sans que la gouvernante eût besoin de s’en mêler, se trouva de fait dissoute. Il était trop tard. Philippe II, à cette heure, ne pouvait plus pardonner : le peuple ne songeait pas davantage à se soumettre. Il avait pris goût au martyre et à la licence ; deux choses qui séduisent presque à un égal degré les masses. Pendant que du fond de son palais le souverain ruminait et préparait sa vengeance, il se trouva dans les Pays-Bas des fous pour oser compter sur la clémence royale. S’ils l’avaient encore humblement implorée ! Mais avec une légèreté, une imprudence vraiment inexplicables ils continuaient leur jeu dangereux d’opposans sous la griffe prête à se détendre. Ils croyaient naïvement qu’il leur suffisait de répudier toute solidarité avec le désordre pour pouvoir avec impunité se permettre de peser, par leurs doléances importunes et par leurs représentations légalement hypocrites, sur la politique plus que jamais irrévocable du prince.

Guillaume d’Orange connaissait mieux Philippe. Dès les premiers jours du mois d’avril 1567, il se démettait de toutes ses charges et se disposait à quitter les Pays-Bas. Parti d’Anvers le 11 avril, il arrivait le 28, après avoir passé par Breda, par le duché de Grave et par le duché de Clèves, à son château héréditaire de Dillenbourg. Un accueil complaisant l’attendait en Allemagne. L’empereur Maximilien II ne voyait pas sans une satisfaction secrète les embarras naissans de son cousin Philippe. Les souverains ont toujours aimé à voir leurs voisins occupés ; les rapports de puissance à puissance en deviennent plus faciles. Sans la connivence de l’Allemagne, les proscrits, assez nombreux déjà, auraient manqué d’asile.

Tous n’allaient pas cependant chercher un refuge à l’étranger. Les forêts marécageuses, sur quelques points presque impénétrables, se peuplaient peu à peu de rebelles. Ceux-là, c’étaient les