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s’attaque d’abord au ministre ; l’assaut au souverain viendra ensuite. « L’acharnement des nobles contre moi, écrit Granvelle, se comprend aisément ; ils veulent réduire le gouvernement à la l’orme républicaine. » La république pourtant était encore loin : si la noblesse en préparait les voies, elle apercevait à coup sûr moins clairement que Granvelle le but auquel elle allait aboutir. Quelques pasteurs peut-être rêvaient déjà l’établissement de la cité de Dieu ; les nobles songeaient surtout à écarter la concurrence étrangère et à rétablir leur situation obérée.

Rien n’est logique dans le cours des événemens auxquels se mêle la passion de la foule. L’affolement d’un peuple en délire est contagieux. Il gagne presque toujours le pouvoir même qui se sent avec effroi battu en brèche. Par la retraite de Granvelle, la régence se désarmait ; elle ne changeait pas pour cela de politique. La persécution religieuse, excitée par les commandemens réitérés venus de Madrid, reprenait avec un redoublement de rigueur. Au mois d’octobre 1564, quelques mois à peine après le départ de l’archevêque de Malines, un ancien carme, Christophe Fabricius, prêchait à Anvers. « Il tendait partout ses mauvais filets pour séduire les pauvres gens. » La trahison le guettait ; l’arrêt de mort ne se fit pas attendre. Les doléances d’un peuple terrifié sont venues jusqu’à nous.

« O Anvers, opulente Anvers, cité impériale, infidèle à toi-même, ne pourra-t-on jamais vivre en paix dans tes murs ? Tous tes marchands sont semblables aux habitans de Capharnaüm. Dieu pour cela les plongera dans l’abîme. Tyr n’a jamais fait ce que tu as osé faire et Tyr pourtant a été engloutie. Sidon, dans sa rage, n’a jamais bu, comme toi, le sang chrétien. Ta tyrannie ne se lassera-t-elle pas enfin ? La trahison occupe ton enceinte. Le méchant curé de l’église Notre-Dame, aidé par une rusée femelle, a mis sa perfidie à l’œuvre. Son nom est Simon ; la femme s’appelle la grande Marguerite. Elle appartient à la secte jésuite qui met toujours les enfans de Dieu dans l’embarras.

« Cette femme perfide alla trouver un ancien. — Ami, dit-elle, mon esprit est très abattu. Donnez-moi un bon conseil : comment puis-je plaire à Dieu ? Notre misérable curé m’accable. Ce n’est pas moi, pauvre femme, qui puis le contredire. Mais vous, vous connaissez la vérité. Si moi pauvre brebis j’entendais vos pasteurs discuter avec le curé, mon cœur peut-être saurait quel parti prendre. »

Toujours intrépide et ponant le Christ dans son cœur, Christophe, par charité, accueille cette demande. Deux fois, il discute avec le curé. Le papiste vaincu doit se retirer honteusement. « Ami, dit Marguerite, le curé ne me plaît plus ; c’est à vous que je veux