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pensait si bien qu’il se donnait l’air d’un premier ministre préparant son cabinet et qu’il envoyait un de ses amis, M. de Castellane, auprès de M. de Villèle pour lui offrir un portefeuille. M. de Villèle, quoiqu’il ne vît, disait-il, qu’un coin du tableau, était trop au courant des choses pour se prêter à cette comédie d’une fatuité supérieure et ne répondait même pas. Il connaissait l’invincible antipathie de Louis XVIII pour son ancien plénipotentiaire à Vienne. Il savait que le roi ne se résignait à se séparer de M. Decazes, — en le faisant duc, en l’envoyant de plus comme ambassadeur à Londres, — que si le duc de Richelieu acceptait la succession, et que M. de Richelieu, après s’être défendu en désespéré de rentrer au pouvoir, venait de céder aux instances de Monsieur, qui avait fait un émouvant appel à sa loyauté et à son dévoûment. Au moment où M. de Talleyrand offrait des portefeuilles, c’était déjà fait ; M. de Villèle le savait, il écrivait, dans ces jours troublés, à Mme de Villèle : « Tout était décidé dès dimanche matin. Tu dois penser combien il était curieux, pour ceux qui le savaient, de voir marcher au milieu de tout cela l’intrigue Talleyrand, se croyant elle-même au moment d’aboutir et proposant des ministères au sortir de la messe du roi. » Le roi ne s’était rendu qu’à la condition que le duc de Richelieu consentirait à redevenir premier ministre, et M. de Richelieu ne s’était rendu à son tour qu’à la condition de garder, sauf M. Decazes, tous les autres ministres : M. de Serre, M. Pasquier, M. Roy, le général de Latour-Maubourg, avec l’assurance de n’avoir plus à se débattre contre l’opposition intime du comte d’Artois.

Né d’une situation tragique, ce second ministère Richelieu se formait pour dénouer une crise extraordinaire, pour couvrir la royauté, pour rétablir, s’il le pouvait, la paix entre les royalistes. Ce n’était peut-être pas une solution, c’était tout au moins un ministère de circonstance et de nécessité. Dès le premier moment, M. de Villèle, quant à lui, n’avait point hésité à se déclarer tout haut ministériel, à promettre son appui au duc de Richelieu. « Nous nous sommes faits, Corbière et moi, ministériels, écrivait-il à Mme de Villèle. Le duc de Richelieu nous a envoyé chercher par Lainé. Aussitôt qu’il nous a vus, il nous a pris par la main ; il nous a dit… qu’il fallait user de beaucoup de ménagemens pour conserver la majorité dans la chambre, mais que son intention était de faire tous ses efforts pour rallier franchement les royalistes au roi et le roi aux royalistes ; que les uns et l’autre se perdaient par leur division, et qu’il fallait qu’elle cessât. Nous lui avons répondu que c’était notre désir et notre besoin de tous les temps, que nous le seconderions de toutes nos forces… » Ce n’était