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pas avec la situation violente créée par le crime mystérieux du 13 février. Il ne pouvait, même avec les lois de sûreté, désarmer les royalistes déchaînés contre lui. De ces royalistes, les uns, comme M. Clausel de Coussergues, allaient jusqu’à l’accuser de complicité dans l’assassinat du duc de Berry et jusqu’à réclamer sa mise en accusation ; les autres refusaient de remettre entre ses mains suspectes de nouvelles armes d’arbitraire dont il pourrait encore une fois se servir contre eux. Les plus modérés, et M. de Villèle ne cessait d’être de ceux-là, croyaient son règne fini, sa politique épuisée, condamnée par l’événement ! D’un autre côté, M. Decazes ne pouvait pas plus compter sur les libéraux, les doctrinaires, dont il avait si souvent recherché l’alliance, même l’amitié, et qui auraient été intéressés à le soutenir, à faire la part des circonstances, à l’aider à traverser cette redoutable crise. Partagés entre le sentiment d’un péril insaisissable, la crainte des ultras, le regret d’un ministère ami et la répugnance pour toute mesure d’exception, les libéraux se débattaient dans leur impuissance troublée, se refusant à tout et n’offrant plus qu’un appui douteux ou suspect. De sorte que M. Decazes se trouvait à la fois menacé par les royalistes, à peu près abandonné par les libéraux, — et de plus atteint dans sa faveur auprès du roi, déjà ébranlé par les plus intimes influences de cour conjurées pour sa perte. Avant d’avoir rien tenté, il était déjà fini, il n’était plus l’homme de la situation !

A défaut de M. Decazes disparaissant dans l’orage, que restait-il donc ? Un ministère de pur royalisme n’était pas possible, il n’était pas encore mûr. Louis XVIII pensait, d’ailleurs, avoir assez fait déjà en livrant M. Decazes comme rançon de la paix de famille, il n’aurait pas admis du premier coup dans ses conseils les ennemis de l’homme qu’il regrettait, les plus ardens adversaires de sa politique. Il ne restait qu’un nouveau ministère Talleyrand ou un nouveau ministère Richelieu, — deux combinaisons, dont l’une, au moins, la première, n’était qu’une intrigue.

Depuis plus de quatre ans, depuis qu’il avait été obligé de quitter les affaires devant la chambre de 1815, M. de Talleyrand, tout plein des souvenirs de son grand rôle dans la Restauration et au congrès de Vienne, était un mécontent. Il passait sa vie à rôder autour du pouvoir, flattant tour à tour les libéraux ou les ultras, cherchant à se faire un parti, attirant l’attention par l’éclat de ses réceptions, et croyant toujours, à chaque incident nouveau, toucher au but de ses ambitions. Naturellement, la crise ouverte par la mort du duc de Berry lui paraissait l’occasion qu’il ne cessait d’attendre. Plus que jamais il se croyait l’homme du moment. Chose curieuse ! Il le