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adopté par lui. Voilà la tare indélébile, le péché originel dont il ne saurait se purger. Henri Heine, parlant d’un peintre belge, regrette que ses plus nobles tentatives vers l’idéal demeurent presque toujours gâtées par quelque grossièreté imprévue, et il lui semble que l’artiste, en s’envolant au ciel, traîne attaché à ses jambes un quintal de fromage de Hollande. Sans aucune vergogne, Collé intitulera le recueil de ses pièces : Théâtre de société. Quelle société ? dira-t-on. Hélas ! la meilleure, celle du duc d’Orléans, du comte de Clermont, et les femmes elles-mêmes assistaient quelquefois à ses spectacles de parade. Qu’il accommode sa prose au goût du public, j’y consens ; mais, pour Dieu, qu’on ne l’appelle plus, en manière d’excuse, un cynique mitigé ! Qui donc, à ce compte-là, serait un cynique sans épithète ?

Dans la Tête à perruque, nous voyons deux femmes de robe, la baillive, l’élue, prendre des libertés honnêtes, mais gaillardes, avec un vicomte et un chevalier invités par elles à souper (les libertés honnêtes de Collé ressemblent fort aux honnestes grandes dames de Brantôme). Pour mieux se divertir, les quatre amoureux ont placé sur un fauteuil la tête et la robe du bailli ; mais ledit bailli, qu’on croyait absent, revient en sourdine, se cache dans sa robe, et, avec une patience de chat, il écoute sans sourciller les lazzis dont on l’accable. Par exemple, la baillive régale l’auditoire de ce couplet :


Jean, c’est comme on nomme mon homme,
Est un Jean… écoute s’il pleut,
Son père le fit gen… tilhomme,
La nature Jean… qui ne peut.
Sa valeur… un Jean qu’on assomme,
Un Jean de Nivelle, un vrai Jean ;
Moi, cher amant, vous savez comme
Avec vous, encore hier, j’en
J’en fis un Jean,
J’en fis un Jean.


Et le vicomte de répondre sur le même air :


Nos dieux dans le bel âge
Sont l’amour et les ris,
Mais le seul cocu âge
Est le dieu des maris.


La baillive s’adressant à la perruque : « A ta santé, cocu ! » Le bailli passant la tête par la fente de la robe : « Je te remercie, coquine ! » Tous s’enfuient, et la pièce finit sur cette belle moralité. D’après cette comédie de Collé, on jugera aisément du ton de ses