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d’Henri IV, Duclos et le duc de Nivernois. Ce Gaulois de vieille roche ne songeait pas tout d’abord à être auteur ; seul l’attrait du plaisir enfante ces parades, ces chansons, cette tragédie burlesque de Cocatrix et autres breloques, qui rappellent les Fatrasies de Rutebeuf, les Coq-à-l’âne de Marot, et jaillissent de son imagination, en dépit des solennels arrêts de Ronsard, Malherbe et Boileau. Un de ses amphigouris eut l’honneur de mettre en défaut la sagacité de Fontenelle.


Qu’il est beau de se défendre
Quand le cœur ne s’est pas rendu !
Mais qu’il est beau de se rendre
Quand le bonheur est suspendu !
Par un discours sans suite et tendre,
Égarez ce cœur éperdu ;
Souvent par un malentendu
L’amant adroit se fait entendre.


« Eh ! grosse bête, sourit Mme de Tencin, ne vois-tu pas que ce couplet n’est que du galimatias ? — Il ressemble si fort à tous les vers que j’entends lire et chanter ici, reprit le bel esprit, qu’il n’est pas surprenant que je me sois mépris. »

Encouragé par Crébillon fils et ses amis, Collé prit son essor et s’éleva rapidement jusqu’au genre où il devait exceller : la petite comédie satirique et réaliste. Lisez la Vérité dans le vin, la Tête à perruque, le Galant escroc[1]. Dans cette peinture trop crue, poussée jusqu’à la caricature, des mœurs qu’il devait le mieux connaître, celles des gens de robe, abbés, jeunes seigneurs, libertins, dans ces scènes où la folle verve et la malice du dialogue accentuent encore la hardiesse des confessions, on retrouve un trait commun à toutes ses œuvres, l’absence complète du sens moral en littérature, ce goût de la gravelure qui persista chez lui au point qu’il ne peut s’empêcher de parsemer de grivoiseries les conseils pratiques que, vieillard, il adressait à un jeune parent quasiment

  1. Dans le Galant escroc, le comte emprunte au mari deux cents louis pour avoir sa femme qui a mis cette condition, puis il s’amuse à lui vanter ses charmes secrets, fait rendre par celle-ci les deux cents louis et chante cette définition de l’amour tel qu’on le comprenait dans un certain monde : »
    Se prendre et se quitter sans cause,
    S’arranger par désœuvrement,
    Enfin pour faire quelque chose,
    Changer tous les huit jours d’amant ;
    Avant ce temps souvent être infidèle ;
    N’est-ce pas dans le monde en ce jour
    Ce qui s’appelle de l’amour ?