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commença par l’appeler notre pièce, puis ma pièce, on la joua couramment sous le titre de la Pièce du Prince, et il en reçut des complimens, de Collé tout le premier. Quelques années après ce grand travail, il voulut (que ne voulut-il pas ? ) entrer à l’Académie française : Duclos, d’Alembert et quelques immortels mis dans le secret, se chargèrent de patronner cette candidature insolite, non sans se demander si l’égalité qui règne dans les séances académiques s’étendrait jusqu’à un prince du sang ; lui souscrivait à tout, et le roi, consulté, donna son agrément. Les prôneurs manœuvrent, ne divulguent qu’au dernier moment la prétention, et leur candidat est élu à la pluralité, non à l’unanimité des suffrages. Le public applaudit, les académiciens se félicitent d’autant plus de cet hommage rendu aux lettres, que Clermont avait affirmé sa volonté d’être reçu en séance publique et communiqué à quelques-uns son discours : il y parlait de « sa vénération pour l’Académie, de son estime pour ceux qui la composent. » Mais on avait compté sans la conjuration domestique de ses frères et cousins, révoltés à l’idée qu’un des leurs fit acte et profession d’égalité : même ils composèrent un mémoire pour établir qu’un prince du sang ne saurait entrer dans aucun corps sans y occuper un rang distingué, une préséance marquée qui le tirât de la foule. Ainsi tiraillé entre l’étiquette et son goût personnel, Clermont s’avisa d’un expédient qui lui permit d’escamoter tant bien que mal la difficulté : un jour d’académie, il se présente à l’improviste, prodigue les caresses à ses confrères, les appelle ses amis, leur dit qu’il n’a pu se résoudre à rendre sa réception publique à cause de sa timidité extrême, timidité qu’il n’a jamais pu surmonter quand il a dû parler en public ; pendant toute la séance, il parle de son respect pour l’Académie, reçoit les jetons de présence, assure qu’il voudrait en porter un sur lui d’une manière ostensible, comme marque distinctive d’un titre dont il se trouve infiniment flatté ; ce jeton, ajoute-t-il, serait ma croix de Saint-Louis d’académicien. Conclusion : le prince ne revint plus à l’Académie, une fois seulement il fit fonction de directeur, pour présenter à Louis XV un vœu de sa compagnie, et le poète Roy, furieux de cette nomination, qu’il briguait pour son propre compte, décocha au prince cette épigramme[1] :

Trente-neuf joints avec zéro,
Si j’entends bien mon numéro,
N’ont jamais pu faire quarante.
D’où je conclus, troupe savante,
Qu’ayant à vos côtés assis
Clermont, cette masse pesante,
Ce digne cousin de Louis,
La place est encor vacante.

  1. Palissot affirme que Roy mourut des coups de bâton que lui valut son épigramme : Ce qui donne créance à cette invention, c’est que Clermont, malgré son caractère paterne, avait, quelques années avant, fait bâtonner un commis de l’octroi coupable d’avoir rempli son devoir vis-à-vis de lui, et que la bastonnade avait entraîné la mort de la victime. (Voir l’excellente étude de M. Jules Cousin, t. 1er , p. 182, t. II, p. 85.)