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désagréables par leurs fréquentes répétitions. Beaucoup de blessés et de malades ayant été pris et dépouillés par ces coureurs dont quelques-uns firent un immense butin, le désir de s’enrichir aussi nous attira de nouveaux ennemis sortant des rangs de nos alliés, ce furent des Polonais ! .. Mais le général Maison fit faire si bonne garde dans les bivouacs du 2e corps, qu’une belle nuit nos avant-postes surprirent une cinquantaine de Polonais au moment où, s’apprêtant à jouer le rôle de faux cosaques, ils allaient faire leur hourrah de pillage ! .. Se voyant cernés de toutes parts, ces bandits eurent l’impudence de dire qu’ils avaient voulu faire une plaisanterie ! Mais comme ce n’était ni le lieu ni le moment de rire, le général Maison les fit tous fusiller sur-le-champ. On fut quelque temps sans voir des voleurs de cette espèce, mais ils reparurent plus tard.


III

Ce grand obstacle franchi, nous arrivâmes le 9 décembre à Wilna, où il existait quelques magasins ; mais le duc de Bassano et le général Hogendorf s’étaient retirés vers le Niémen, et personne ne donnait d’ordres… Aussi, là comme à Smolensk, les administrateurs demandaient pour délivrer des vivres et des vêtemens, qu’on leur remît des reçus réguliers, ce qui était impossible, en raison de la désorganisation de presque tous les régimens. On perdit donc un temps précieux. Le général Maison fit enfoncer plusieurs magasins et ses troupes eurent quelques vivres et des effets d’habillement, mais le surplus fut pris le lendemain par les Russes. Les soldats des autres corps se répandirent en ville, dans l’espoir d’être reçus par les habitans, mais ceux-ci, qui six mois avant appelaient les Français de leurs vœux, fermèrent leurs maisons dès qu’ils les virent dans le malheur ! Les juifs seuls reçurent ceux qui avaient de quoi payer cette hospitalité passagère.

Repoussés des magasins ainsi que des habitations particulières, l’immense majorité des hommes affamés se porta vers les hôpitaux qui furent bientôt encombrés outre mesure, bien qu’il ne s’y trouvât pas assez de vivres pour tous ces malheureux, mais ils étaient du moins à l’abri du grand froid… Cet avantage précaire détermina cependant plus de vingt mille malades et blessés, parmi lesquels se trouvaient deux cents officiers et huit généraux, à ne pas aller plus loin : leurs forces physiques et morales étaient épuisées !

Le lieutenant Hernoux, l’un des plus vigoureux et des plus braves officiers de mon régiment, était tellement consterné de ce qu’il voyait depuis quelques jours, qu’il se coucha dans la neige, et rien