Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/30

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas mieux que de ne plus être chargé d’une cause que je ne pourrais plus défendre par la raison et la sagesse. » — Sa position devenait de plus en plus singulière dans son parti, non pas peut-être à la chambre où il gardait son ascendant sur la masse des royalistes, mais dans les « salons du faubourg Saint-Germain et même au château, » où on le traitait, disait-il, comme un « gobe-mouche, » comme un « temporiseur » et un « modéré » dont on ne devait pas écouter les avis.

Un des plus singuliers incidens de ces luttes intimes était un commencement de scission de M. de Villèle avec l’homme sur qui il comptait le plus, celui qui passait pour l’inséparable, l’ami Corbière lui-même. On avait entouré, flatté et capté le « rude Breton » en excitant ses susceptibilités et peut-être un peu sa vanité. On avait tout fait pour le gagner à la politique de la « guerre à outrance. » — On avait fini par le décider à refuser, aux derniers jours de l’année, les douzièmes provisoires au gouvernement : obtenir de lui ce premier gage d’irréconciliabilité, le séparer de M. de Villèle, c’était le triomphe des ultras. C’était aussi un coup sensible pour M. de Villèle, qui ne s’inquiétait qu’à demi des boutades de génie de Chateaubriand ou des colères de M. de La Bourdonnaye, mais qui sentait vivement la défection de son compagnon le plus intime et jusque-là le plus fidèle. Il en était troublé, sans être disposé néanmoins à subir la pression de l’ultra-royalisme. Aux momens les plus vifs, il inscrivait dans les notes de son Journal : « 22 décembre. — Dîné chez M. le vicomte de Montmorency avec Corbière, que j’ai la douleur de voir en opposition avec mes idées sur la marche à suivre… 26 décembre. — Été à la réunion Piet, où j’ai pu m’apercevoir du mauvais effet produit par les criailleries de tous les fous et intrigans qui clabaudent dans les salons contre notre vote des six douzièmes. L’erreur de Corbière en cette occasion nous fait beaucoup de tort et à moi grand chagrin… » — Et bientôt, en relevant avec amertume tout ce qu’on tentait contre lui dans le parti, il ajoutait dans une lettre à Mme de Villèle : — « Tout cela me touchait peu et j’allais droit… lorsque cette intrigue détestable s’est attachée à capter Corbière : on a réussi d’abord à lui faire voter le rejet des douzièmes. Depuis il en est venu peu à peu à être un des plus exagérés parmi les nôtres et je crains bien qu’après avoir été liés comme nous l’étions, nous ne soyons bientôt au-delà de l’indifférence. Juge de tout ce qu’une telle situation a de pénible pour moi… » — Ce fut un instant une crise assez vive. Corbière n’était pourtant qu’un dissident de passage ou de circonstance. Il avait cédé à un mouvement d’humeur et à des obsessions. Il ne tardait pas à revenir, « un peu honteux » de l’aventure, à la vieille amitié