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de deux autres gués situés au-dessous de Borisof, dont le moins défavorable est devant le village d’Oukoloda.

A cet effet, on dirigea ostensiblement vers ce lieu un des bataillons encore armés, qu’on fit suivre de plusieurs milliers de traînards, que les ennemis durent prendre pour une forte division d’infanterie. A la suite de cette colonne marchaient de nombreux fourgons, quelques bouches à feu et la division de cuirassiers. Arrivées à Oukoloda, ces troupes tirèrent le canon et firent tout ce qu’il fallait pour simuler la construction d’un pont.

Tchitchakof, prévenu de ces préparatifs, et ne doutant pas que le projet de Napoléon ne fût de franchir la rivière sur ce point pour gagner la route de Minsk qui l’avoisine, se hâta non-seulement d’envoyer par la rive droite toute la garnison de Borisof en face d’Oukoloda ; mais par suite d’une aberration d’esprit inqualifiable, le général russe, qui avait assez de forces pour garder en même temps le bas et le haut de la rivière, fit encore descendre vers Oukoloda toutes les troupes placées la veille par lui en amont de Borisof, entre Zembin et la Bérésina. Or c’est précisément en face de Zembin qu’est situé le village de Weselowo, dont le hameau de Studianka est une dépendance. Les ennemis abandonnaient donc le point sur lequel l’empereur voulait jeter son pont, et couraient inutilement à la défense d’un gué situé à six lieues au-dessous de celui que nous allions franchir ! ..

A la faute qu’il commit d’agglomérer ainsi toute son armée en aval de la ville de Borisof, Tchitchakof en ajouta une qu’un sergent n’eût pas commise et que son gouvernement ne lui a jamais pardonnée.

Zembin est bâti sur un vaste marais, que traverse la route de Wilna par Kamen. La chaussée de cette route présente vingt-deux ponts en bois, que le général russe, avant de s’éloigner, pouvait en un moment faire réduire en cendres, car ils étaient environnés d’une grande quantité de meules de joncs secs. Dans le cas où Tchitchakof eût pris cette sage détermination, l’armée française devait être perdue sans ressources, et il ne lui eût servi de rien de passer la rivière, puisqu’elle eût été arrêtée par le profond marais dont Zembin est entouré ; mais, ainsi que je l’ai déjà dit, le général russe nous abandonna les ponts intacts et descendit stupidement la Bérésina avec tout son monde, ne laissant qu’une cinquantaine de cosaques en observation en face de Weselowo.

Pendant que les Russes, trompés par les démonstrations de l’empereur, s’éloignaient du véritable point d’attaque, Napoléon donnait ses ordres. Le maréchal Oudinot et son corps d’armée doivent se rendre la nuit à Studianka pour y faciliter