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une bien autre violence. M. de Villèle n’ignorait pas ce qu’on disait de lui : il se sentait entouré de soupçons et de défiances dans ce monde des journaux et des salons ultras. Une suivait pas moins son système sans trop se laisser ébranler, acceptant, s’il le fallait, les occasions de traiter avec les ministres et d’être utile, prêt à recevoir une nouvelle loi des élections, fut-ce des mains de M. Decazes, refusant de s’allier à ceux qui marchandaient les douzièmes provisoires au ministère du roi.

Chaque jour M. de Villèle avait à tenir tête à cette opposition qu’il rencontrait dans son propre camp : ses lettres à Mme de Villèle, pendant la session de 1819-1820, sont le journal de ces guerres intestines de parti : — « Tu me demandes, écrit-il, où j’en suis avec ceux de mes camarades qui tendaient vers des mesures exagérées. La Bourdonnaye ne me parle plus, ni moi à lui ; mais il est seul et n’a pu, à ce qu’il paraît, entraîner personne dans son parti… Castelbajac est tout à fait comme auparavant, seulement nous nous voyons moins souvent… Chateaubriand, de son côté, boude et dit qu’il renonce à la politique, puisqu’on ne veut pas faire la guerre à outrance… » — Parfois, il a des mouvemens d’impatience et laisse échapper ses amertumes : — « Les royalistes, dit-il, m’ennuient avec leurs exigences et leurs exagérations. Ils voudraient faire tout faire à la chambre comme si nous étions en majorité ! Ils s’en prennent à nous de leur impuissance et ils ne voient pas que, quand on a le roi, la législature et la corruption publique contre soi, il ne reste qu’à souffrir en faisant son devoir ou d’y manquer en conspirant, car pour vaincre légalement, cela est impossible… » — Un jour, il fait le récit d’une scène des plus vives qu’il vient d’avoir avec le général Donnadieu, qui ne parlait que de tout refuser au gouvernement ; un autre jour, il raconte une quasi-rupture avec le Conservateur à l’occasion d’un article presque révolutionnaire de Chateaubriand. Il se débat avec ces contradictions de tous les instans qu’il n’évite qu’en finissant par s’abstenir d’aller jusque dans les réunions mondaines : — « Il y a un temps infini, écrit-il à Mme de Villèle, que je ne suis allé chez la princesse de La Trémoille. Elle m’en a fait faire des reproches ; mais c’est la maison où l’on prêche le plus contre la sagesse de notre conduite et pour pousser à l’exagération la plus absurde. On ne m’y épargne pas personnellement ; je ne me soucie point d’y aller. Ces braves gens ne trouvent pas le royalisme représenté dans la chambre : qu’ils en envoient d’autres pour le défendre selon leurs passions. J’en serais fâché pour les intérêts publics qui seraient bientôt compromis par ces têtes-là, mais quant à mon intérêt personnel, il est tout à fait d’accord avec leurs vues. Je ne demande