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couvrir ainsi le flanc de la route d’Orcha à Borisof, par laquelle l’empereur revenait de Moscou.

Cette retraite fut si bien ordonnée que Wittgenstein et Steinghel, qui, après avoir réparé les ponts de la Duna, nous suivaient en queue avec 50,000 hommes, n’osèrent nous attaquer, bien que nous n’eussions plus que 12,000 combattans, et ils n’avancèrent que de 15 lieues en huit jours.

Quant au comte de Wrède, dont l’orgueil blessé ne voulait plus se plier à l’obéissance, il marchait à volonté avec un millier de Bavarois qui lui restaient et une brigade de cavalerie française qu’il avait emmenée par subterfuge, disant au général Corbineau qu’il en avait reçu l’ordre, ce qui n’était pas ! La présomption du comte de Wrède ne tarda pas à être punie : il fut attaqué et battu par une division russe. Alors il se retira sans autorisation sur Wilna, d’où il gagna le Niémen. La brigade Corbineau, refusant de le suivre, vint rejoindre l’armée française, pour laquelle son retour fut un grand bonheur, ainsi que vous le verrez lorsque je parlerai du passage de la Bérésina.

Cependant, par ordre de l’empereur, le maréchal Victor, à la tête du 9e corps, fort de 25,000 hommes, dont la moitié appartenait à la Confédération du Rhin, accourait de Smolensk pour se joindre à Saint-Cyr et rejeter Wittgenstein au-delà de la Duna. Ce projet eût certainement été suivi d’un prompt effet si le maréchal Saint-Cyr eût eu le commandement supérieur ; mais Victor était le plus ancien des deux maréchaux, et Saint-Cyr ne voulut pas servir sous ses ordres. La veille de la réunion, qui eut lieu le 31 octobre devant Smoliany, il déclara ne pouvoir continuer la campagne, remit la direction du 2e corps au général Legrand et s’éloigna pour retourner en France.

Saint-Cyr fut regretté des troupes qui, tout en n’aimant pas sa personne, rendaient justice à son courage et à ses rares talens militaires. Il ne manquait à Saint-Cyr, pour être un chef d’armée complet, que d’avoir moins d’égoïsme et de savoir gagner l’attachement des soldats et des officiers en s’occupant de leurs besoins ; mais il n’y a pas d’homme sans défaut.

Le maréchal Victor avait à peine réuni sous ses ordres les 2e et 9e corps d’armée, que la fortune lui offrit l’occasion de remporter une victoire éclatante. En effet, Wittgenstein, ignorant cette jonction et se fiant à sa supériorité, vint attaquer nos postes en s’adossant à des défilés très difficiles. Il ne fallait qu’un effort simultané des deux corps pour le détruire, car nos troupes, maintenant aussi nombreuses que les siennes, étaient animées du meilleur esprit et désiraient vivement combattre. Mais Victor, se méfiant sans doute de lui-même sur un terrain qu’il voyait pour la première fois,