Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/26

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

royaliste. A peine en était-on à la première application de la loi de 1817, au premier renouvellement partiel, la vérité éclatait. Le scrutin, en décimant les royalistes, ramenait dans la chambre les chefs libéraux les plus avancés, La Fayette, Manuel, Benjamin Constant. Premier signe ! — Qu’était-ce donc lorsque, l’année suivante, une élection nouvelle grossissait le contingent des libéraux et envoyait comme député au roi Louis XVIII un régicide, l’abbé Grégoire ! Il devenait évident qu’avant peu, le simple jeu de la loi électorale devait faire entrer au parlement une majorité libérale, ou, pour mieux dire, semi-révolutionnaire, semi-bonapartiste, avec laquelle la monarchie ne pourrait vivre.

C’était la logique d’une situation qui se dégageait par degrés, et de ce mouvement, peut-être gros de périls, naissait une question qui ne tardait pas à devenir une obsession pour les esprits prévoyans. Pouvait-on laisser se prolonger cette expérience d’une loi d’élections qui menaçait de livrer presque à jour fixe la Restauration à ses ennemis ? Le gouvernement, après avoir donné des gages de libéralisme dont on se servait contre lui, contre la monarchie, ne devait-il pas songer à conjurer ces fatalités révolutionnaires renaissantes en se repliant vers les royalistes, en s’entendant avec eux dans un intérêt conservateur ? Une première fois, dès 1818, au moment où, encore président du conseil, il négociait à Aix-la-Chapelle avec les souverains de l’Europe la libération du territoire français, M. de Richelieu avait été surpris autant qu’ému de la recrudescence libérale attestée par l’élection de La Fayette, de Manuel, et il était revenu à Paris avec la résolution de changer la loi électorale, de donner ce gage aux royalistes. Il avait essayé de convertir ses collègues, M. Decazes, M. Lainé, M. Pasquier, M. Mole, à son opinion ; il n’avait trouvé que divisions dans le conseil. Pressé de refaire son ministère, il n’avait point hésité à appeler auprès de lui M. de Villèle, qui s’était prêté à ces négociations[1]. M. de Richelieu n’avait réussi ni à rallier ses anciens

  1. Les notes familières laissées par M. de Villèle racontent jour par jour ces négociations et en donnent une idée : « 24 décembre. — Été appelé chez M. le duc de Richelieu, qui m’a dit être chargé par le roi de composer un nouveau ministère et m’a offert celui de la marine. Il est fort embarrassé pour remplir sa mission… Il m’a fait revenir le soir pour me dire qu’il allait annoncer au roi qu’il renonçait à se charger de cette mission… 25 décembre. — Il m’a encore fait appeler, voulant tenter de nouveau d’accomplir sa mission, en quoi je l’ai encore aidé de mon mieux… 26 décembre. — Il m’a fait appeler de nouveau. Il est fort découragé… 27 décembre. — Appris que M. le duc de Richelieu était tombé dans un état nerveux qui le rendait fort malade et incapable de s’occuper. On a ajouté qu’il avait envoyé au roi sa démission… 31 décembre. — J’ai été mandé le soir chez Monsieur avec Corbière après avoir assisté à la réunion de nos collègues chez Piet… » — (Mémoires du comte de Villèle, t. XI, p. 249-250.)