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lustre de naissance d’un Mathieu de Montmorency ; mais il n’avait pas non plus leurs emportemens ou leurs faiblesses, et se créait à lui-même son rôle et son ascendant par sa supériorité dans les affaires, par une action de tous les instans. Plus que jamais il marchait d’intelligence avec « l’ami » Corbière, son plus intime confident, son compagnon de lutte et de succès. « Nous continuons à être bien liés tous deux, écrivait-il ; s’il ne revient pas l’année prochaine, je ne sais en vérité comment je ferai sans lui. Les nouveaux-venus et un grand nombre des nôtres sont des paresseux qui ne font rien. » Il ne se fiait qu’à Corbière, il n’avait peut-être pas une trop haute opinion de l’aristocratie de son parti. Mme de Rémusat, en femme d’esprit, remarque que ce défenseur ou cet allié de la noblesse faisait adroitement des nobles ses instrumens, que le fond de sa pensée était le mot du comte Almaviva au sujet d’une pièce de théâtre : le gentilhomme y mettra son nom, le poète son talent ! Et elle ajoutait : « Voilà l’idée de l’homme… Il voudrait cette espèce d’amalgame qui offrirait, dit-il, une garantie pour tout le monde. Je ne sais si vous ne trouverez pas ceci par trop fin et si vous me comprendrez. » C’était finement vu et d’une vérité piquante ; seulement « l’amalgame » n’était pas facile. M. de Villèle, dans tous les cas, en laissant aux gentilshommes l’honneur de mettre leur nom à la « pièce, » se réservait bien en effet de ne pas leur en laisser la direction. Il n’avait pas sur eux assez d’illusions. Il était homme à écrire un jour : « La race des hommes de haut rang est abâtardie, on ne trouve chez eux aucune ressource, aucune capacité ! .. »


IV

A mesure que les années passaient et que la lutte des partis se déroulait avec ses alternatives, cependant, tout changeait de face. La politique du 5 septembre avait eu le temps de se manifester dans ses traits caractéristiques, par ses actes et par ses lois, surtout par cette loi électorale de 1817 dont les combinaisons, — élection directe, cens de trois cents francs, renouvellement partiel de la chambre, — préparaient la prépondérance de la bourgeoisie. Les ministères qui se succédaient avec M. de Richelieu, avec M. Dessolles, toujours avec M. Decazes, qui s’efforçaient de maintenir un certain équilibre entre les partis extrêmes, ces ministères se sentaient entraînés par un courant qu’ils avaient créé ou favorisé ! Qu’en résultait-il ? une situation libérale ne pouvait produire que des conséquences libérales, l’accélération d’un mouvement libéral qui devenait bientôt embarrassant pour les ministres eux-mêmes en donnant de nouveaux griefs, une force nouvelle à l’opposition