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de « l’irréligion d’état » et de la philosophie radicale dans l’enseignement. Ils tiennent à être respectés dans leurs sentimens, dans leurs croyances et n’ont aucune envie de livrer leurs enfans aux expériences de l’esprit de secte. — Qu’à cela ne tienne ! diront les radicaux, on les y forcera. Il s’est trouvé tout juste, en effet, un autre député aussi obscur, aussi philosophe que le député d’Autun, — il s’appelle M. Pochon, — qui a découvert un procédé infaillible pour peupler les lycées de l’état, et surtout pour ruiner ces maisons où l’on n’enseigne pas l’évangile radical. Cet ingénieux réformateur a imaginé un projet auquel on a récemment essayé d’intéresser les conseils-généraux. Le moyen est des plus simples : il suffirait de proposer et de voter un petit supplément aux lois scolaires interdisant l’accès des fonctions publiques, fermant les grandes écoles de l’état, militaires ou civiles, même l’École centrale des arts et manufactures, aux jeunes gens qui n’auraient pas reçu l’enseignement officiel. Voilà qui est net et décisif ! Il s’agirait tout bonnement de supprimer l’admissibilité à tous les emplois, l’égalité des droits pour toute une classe de Français, de retrancher de la loi commune une partie de la nation. Les philosophes et les tacticiens du radicalisme n’en sont pas à cela près !

Aurait-on du moins la chance de réussir par les exclusions ? Ce n’est même pas sûr, puisque, beaucoup de fonctions étant accordées au concours, il resterait à savoir si les candidats les plus capables ou les plus heureux sont d’une rigoureuse orthodoxie radicale, et ce serait toujours à recommencer. Il faudrait imposer des conditions avant le concours en se réservant une révision sévère et les épurations salutaires après. Ce serait complet, — ce serait surtout un moyen d’avoir une administration aussi impartiale qu’éclairée ! Que l’expédient fût efficace ou inutilement tyrannique, d’ailleurs, peu importe. Ce qu’il y a de plus étrange, c’est que des hommes chargés des affaires du pays, plus ou moins mêlés à la politique, puissent avoir sérieusement aujourd’hui de telles idées. Ce qu’il y a de plus caractéristique encore, c’est l’altération croissante, puérile, de toutes les notions de droit et de liberté que révèlent des projets de ce genre. Chose curieuse ! ceux qui font ces propositions se disent des novateurs, des réformateurs : ils prétendent représenter le progrès ; ils ont passé leur vie à harceler tous les gouvernemens de leurs revendications libérales. Ils ont la fatuité d’être une avant-garde hardie, allant à la découverte des idées nouvelles, — et ils ne s’aperçoivent pas que ce qu’ils découvrent, ce qu’ils réclament, c’est tout ce qu’il y a de plus vieux, de plus suranné, de plus réactionnaire au monde. Pour toute nouveauté, ils ont découvert le rétablissement du monopole universitaire, dont l’abolition a été autrefois une conquête libérale. Ils en sont encore au Voltaire-Touquet, aux vieilles déclamations de 1825 contre la « congrégation » qui était le « cléricalisme » du temps. Ces épiménides