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et de tactique pour rallier ses amis, pour relever la fortune de sa cause. A peine rentré dans la chambre, il ne se faisait que peu d’illusions. Il sentait l’impuissance momentanée de son parti décimé par la défaite. Il écrivait à celle qui était toujours sa première confidente et souvent sa conseillère, à Mme de Villèle : « La proportion des forces respectives dans la chambre est du tiers pour nous et des deux tiers contre. Nous ne sommes pas plus de soixante pouvant parfaitement compter les uns sur les autres. À ce nombre, il faut ajouter une trentaine de royalistes moins prononcés qui voteront habituellement avec nous. Enfin quand nous aurons dix fois raison, une trentaine de membres du parti opposé, de meilleure foi et moins passionnés que les autres, nous donneront de temps en temps la majorité. Voilà bien réellement où nous en sommes. L’alliance des révolutionnaires et des aspirans au ministère avec les ministériels purs va fort bien jusqu’à présent. Ils s’entendent tous à merveille contre nous… » La difficulté était de manœuvrer dans une situation singulièrement compliquée, d’éviter les précipitations en profitant des fautes ou des divisions des vainqueurs, de tenir ferme sans rien compromettre par de fausses tactiques. C’est le rôle des royalistes et de leurs chefs pendant ces années du règne de la politique libérale, — 1816-1820, — où la lutte se renouvelait sans cesse contre la loi des élections de 1817, contre la loi de recrutement de 1818, contre les budgets, contre le rappel des bannis, contre les choses et les hommes. M. de Villèle, entre tous, menait avec autant de dextérité que de persévérance cette campagne de tous les instans, partageant la peine avec son ami Corbière. « Le métier que je fais, écrivait-il, est fort pénible et bien fatigant. C’est bien autre chose que l’an passé. Il faut sans cesse monter à la brèche, toujours sans résultats, et nous avons bien peu de monde pour nous relever. Le tour des mêmes revient trop souvent[1]. » Et si on lui reprochait de trop se prodiguer, il répondait vivement même à Mme de Villèle : « C’est bon à dire du coin de son feu. Quand

  1. Malgré son calme et son sang-froid, M. de Villèle avait des heures de découragement où il ne parlait de rien moins que de se retirer de la vie publique. « Lorsque la loi des élections et celle du budget auront passé, écrivait-il un jour à Mme de Villèle, je crois que je ferais bien à l’occasion de cette dernière, de faire une bonne récapitulation pour mettre en évidence le système d’oppression et de ruine qui résulte pour le pays de toutes ces lois et l’impossibilité de lui être désormais utile à la chambre. Je donnerais ma démission à la tribune, en refusant mon assentiment à un pareil budget. Je me retirerais chez moi et ne me mêlerais plus de rien au monde que de ma famille et de mes affaires. — Voilà mon idée, je la crois juste et honorable. Je ne vois rien de bon à faire ici… » Il écrivait un autre jour : « Je n’avais pas les goûts d’un homme public, mais seulement ceux d’un bon particulier… » — (Mémoires du comte de Villèle, 1817, t. II).