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maisons de banque privées, avec la responsabilité illimitée de leurs chefs, avaient existé pour ainsi dire seules ; le nombre des sociétés anonymes avait été fort limité. L’incertitude de l’avenir, qui naissait de la conquête, l’expatriation d’une partie des habitans, le désir très naturel, chez les personnes riches, de mobiliser le plus possible leurs capitaux, ont été des facteurs qui ont amené l’adoption de la forme de l’association, de la société par actions, pour d’anciennes entreprises qui avaient prospéré dans les mains de particuliers, ou pour la création de nouvelles entreprises destinées à satisfaire les besoins du commerce et de l’industrie. M. Engel Dolffus a écrit un chapitre intéressant de cette phase dans son étude sur l’industrie de Mulhouse et son évolution économique de 1870 à 1881. Avec le bon sens et la pondération habituelle aux Alsaciens-Lorrains, ils ont su éviter les folies et les méfaits de l’agiotage, de la fondation de compagnies établies uniquement en vue de l’émission d’actions et des bénéfices résultant de la prime sur le cours de celles-ci. Cette transformation en sociétés anonymes a été le fait des changemens amenés par l’annexion ; elle a répondu à une nécessité de la situation nouvelle, si douloureuse pour les vaincus.

Il vaut la peine de remarquer que les indigènes ont su conserver leur supériorité et garder leur suprématie, et que les succursales de banques privées allemandes n’ont pas réussi à s’acclimater ni à prendre racine. Trois échecs ont été subis successivement par la Banque pour l’Allemagne du Sud, par l’Unionbank de Berlin, et enfin par la Provinzial Disconto Gesellschaft, qui toutes ont dû fermer et liquider les établissemens qu’elles avaient organisés à Strasbourg.

Le négociant ou le fabricant, dans les deux provinces, aimait mieux rester en relation avec ses anciens banquiers ou avec les banques fondées par ses compatriotes plutôt que de s’aboucher avec des Allemands, nouveaux-venus dans sa partie, n’en connaissant ni les usages ni les traditions et auxquels il fallait permettre de s’initier aux affaires particulières du client.

Dès 1871, quatre vieilles maisons de banque de Strasbourg s’unirent pour fonder la Banque d’Alsace-Lorraine au capital de 12 millions[1] ; en 1872, les grands industriels de Mulhouse transforment la maison M. A. Schlumberger Ehingeren société anonyme sous le nom de Banque de Mulhouse, au capital de 12 millions.

  1. C’étaient les maisons Ed. Klose et Cie, L. Grouvel et Cie, Léon Blum Auscher et F. Bastien et Cie, qui avaient été chargées de payer les arrérages des rentes et pensions françaises pour compte du gouvernement.