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c’est seulement la septième torpille lancée par les torpilleurs du Président-Balmaceda qui a atteint le vieux cuirassé congressiste ; celui-ci, n’ayant ni double coque, ni cloisons étanches, a sombré à pic, tandis que les torpilles qui l’avaient manqué allaient couler d’inoffensifs bâtimens de commerce mouillés sur rade.

Le faible approvisionnement des torpilleurs en eau et en charbon, la fatigue excessive imposée aux officiers et aux hommes qui montent ces petits navires où le sommeil et le repos sont impossibles, où bien souvent la cuisine ne peut fonctionner, obligent à les ravitailler et à changer leurs équipages tous les trois jours au plus. Une escadre en croisière peut se soumettre à cette exigence ; en revanche, une flotte lancée à la poursuite de l’ennemi, ou cherchant au contraire à se dérober, ne pourra certainement pas perdre de précieuses heures pour ravitailler ses torpilleurs.

Notre intention n’est pas de médire de ces petits bâtimens ; sur les côtes, leur rôle n’a rien perdu de son importance ; ce sont de précieux chiens de garde, qui, tant qu’ils restent à portée de l’abri où ils trouvent le repos et de quoi se ravitailler, sauront éloigner les croiseurs malintentionnés. Il est même des cas où une escadre, marchant par exemple à une rencontre prévue, ne partira pas sans emmener ses torpilleurs de haute mer, qui, lorsqu’ils naviguent le long des cuirassés chargés de les ravitailler, — les mères-nourrices, comme les appellent nos marins dans leur langage imagé, — semblent de longs lévriers tenus en laisse, prêts à s’élancer sur une proie.

Les manœuvres ont simplement prouvé une fois de plus que les torpilleurs ne sont pas faits pour être adjoints à une escadre à titre permanent ; si celle-ci doit tenir la mer pendant plus de trois ou quatre jours, les torpilleurs cessent d’être un accroissement de forces pour devenir une source de préoccupations et un impedimentum. Les avaries survenues à bord de quelques-uns d’entre eux ont montré par ailleurs que le fonctionnement de nos défenses mobiles laisse à désirer, toujours à cause de la trop grande économie apportée à l’armement des torpilleurs en réserve. Pour les torpilleurs encore plus que pour les grands navires, il est nécessaire que le personnel appelé à s’en servir en temps de guerre soit embarqué d’une façon réelle et constante en temps de paix, dans la proportion minima d’au moins un équipage complet pour deux torpilleurs.

Les manœuvres navales anglaises de cette année, dont une partie a été consacrée à des manœuvres de torpilleurs, offrent une nouvelle confirmation de ce que nous ont enseigné nos manœuvres de la Méditerranée au sujet de la navigation des torpilleurs, et du lancement des torpilles.