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Il est non moins difficile d’imaginer un thème dans lequel la principale escadre se tienne sur la défensive, parce que souvent l’intérêt de la défense commande de prévenir les coups de l’adversaire en prenant l’offensive. Il est de toute évidence que, par exemple, la meilleure défense de nos côtes consiste, en ce qui concerne notre escadre, à courir à la rencontre de la flotte ennemie et à tâcher de la surprendre avec des forces supérieures pour la détruire. Imposer à un certain nombre de cuirassés l’obligation de croiser devant le littoral pour combattre l’ennemi supposé qui se présenterait pour les assaillir est commettre une dangereuse inexactitude, de nature à tromper l’opinion publique.

En effet, tel ne sera jamais le rôle de nos forces navales ; nous avons des batteries de côte et des défenses mobiles qui ont été créées précisément parce que nos cuirassés ne peuvent pas être partout à la fois en nombre suffisant, et dont le but est de parer à toute surprise, pendant que notre flotte cherchera à engager la flotte ennemie.

Comment voudrait-on qu’une escadre, quelles que soient sa vitesse et sa composition, pût se porter assez rapidement du cap de Creus à Nice, de Toulon en Corse, ou de la côte de Provence en Algérie, pour rencontrer en temps voulu un assaillant tenant le large et pouvant se présenter inopinément où bon lui semblera ?

On l’a bien vu lors des manœuvres de 1888, lorsque l’amiral Alquier, lié par ses ordres, se promenait entre Cette et Villefranche pendant que l’amiral O’Neill, qui avait l’avantage de la vitesse, paraissait successivement devant nos villes maritimes ; celles-ci, croyant que leur sécurité reposait sur les contremarches de l’escadre de défense, ont jeté les hauts cris parce que l’amiral Alquier n’était pas toujours arrivé à temps pour les couvrir.

Il est cependant impossible de faire manœuvrer deux escadres l’une contre l’autre sans donner à l’une un objectif que l’autre ait pour mission de contrarier. On doit donc choisir un thème assez vague pour ne pouvoir blesser aucune susceptibilité, mais suffisamment serré pour qu’il soit un sûr prétexte à des combinaisons tactiques.

Nous avons insisté sur les considérations qui précèdent parce que le public a une tendance marquée à tirer des manœuvres navales des conclusions d’ordre stratégique, quand il ne faut chercher dans ces exercices à grande envergure que des enseignemens d’ordre tactique ; c’est une étude de l’emploi des différentes unités de combat, et rien de plus.


I

Les manœuvres de cette année ont été caractérisées par un