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et elle dut dégrafer son corsage, étouffant d’une crise de nerfs, avec des gestes d’effroyable torture. Et à travers ses cris de souffrance, une indignation la secouait ; sa voix hachée, rauque, qui finissait par n’être plus que des souffles, sifflait des injures :

— Lâche ! lâche !

Tout son corps se tordait ; ses bras semblaient devoir se briser de leur effort. C’en était trop, cette fois. Nulle expiation ne lui avait été épargnée. Mais celle-là, c’était trop. Lui ! lui ! Cela était infâme !

Daguerre, froidement, la regardait, sans un geste de pitié, sans un mouvement de secours. Alors, d’un suprême élan de courage, elle ramassa sa volonté, se ressaisit. Elle se mit debout, l’air égaré, la figure en feu, toute ravagée.

— Eh bien ? voulut-il railler, ça va mieux ?

— Ah ! dit-elle, plus un mot !

Et violente, folle, avec des cris étouffés, les mains à sa tête qui lui semblait éclater, elle s’enfuit, se jeta dans sa chambre.

Presque aussitôt, il y eut, par les murs, un retentissement sourd. Daguerre tressaillit :

— Justine ! appela-t-il, madame est indisposée. Voyez donc si elle n’aurait pas besoin de vous.

La femme de chambre alla ; mais, tout de suite, ses cris emplirent la maison :

— Monsieur ! Monsieur !

Il se leva. La fille tremblait, toute pâle, les dents claquantes, une horreur dans la face. Et à terre, il vit sa femme, étendue tout de son long, foudroyée. Sur le tapis, un flacon avait roulé.

Ils la soulevèrent, la déposèrent sur le lit :

— Vite, dit-il à la femme de chambre, un médecin !

Il demeura seul, pensif, devant le cadavre. Mais nulle lumière ne se fit en son esprit. Il ne comprit pas le long supplice dont lui-même avait été le bourreau, la terrible expiation dont il avait été l’instrument inconscient. Il eut un soupir de délivrance, puis une pitié. Il pensa qu’elle s’était fait justice.

Et le malheur de sa vie resta en lui, irrémissible.


JEAN REIBRACH.