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LA MADONE DE BUSOWISKA.

un glas funèbre dans les consciences des paysans. Tous se regardèrent avec consternation, et même les triomphateurs paraissaient effrayés maintenant de leur victoire.

IX.

A peine arrivée à Spas, Nasta s’était mise en quête de M. Sigismond, mais on lui apprit que la veille le pauvre jeune homme avait été trouvé inanimé au Labyrinthe, et qu’on l’avait transporté chez lui blanc comme un linge. D’abord, on l’avait cru mort, mais après quelques minutes, il avait ouvert les yeux, et essayé de parler, sans y réussir. Enfin la nuit, comme il était plus mal, on avait été obligé d’envoyer chercher des docteurs dans toutes les directions, et même expédié un express à Lemberg. La comtesse était venue s’installer au chevet du jeune homme, et elle pleurait à fendre le cœur, comme si c’était son propre fils.

En écoutant ce récit, Nasta était devenue toute blanche, il lui sembla que ses oreilles bourdonnaient, et de grosses mouches se mirent à danser devant ses yeux ; puis, affolée, elle courut au logis du peintre. Elle ne se demandait point ce qu’elle allait y faire, ni si on la laisserait entrer, son instinct le poussait vers ce pauvre mourant comme le chien fidèle va à son maître. Si on la chassait... eh bien ! elle se coucherait sur le seuil !..

Mais personne ne songea à la mettre dehors, la porte de la maison était grande ouverte et elle put pénétrer librement jusque dans la chambre attenante à celle du malade, et voir tout ce qui s’y passait. M. Sigismond était étendu, immobile, sur une couchette basse, sa figure était pâle comme de la cire et ses grands yeux noirs paraissaient encore plus profonds que de coutume.

La comtesse, assise tout près de lui, les paupières très rouges à force d’avoir pleuré, ne cessait de le regarder, et de temps à autre, elle lui parlait d’une voix basse et très douce, comme on fait à un petit enfant. Mais il ne lui répondait pas et se contentait de regarder devant lui si fixement, que Nasta se sentit envahie par une sueur froide. A la fin, la comtesse, qui faisait tous ses efforts pour paraître calme, se pencha vers lui, et avec un bon sourire, car elle savait sans doute que ce qu’elle allait lui dire le rendrait heureux :

— Voyons, Sigismond, regardez-moi,.. il faut vite vous remettre, entendez-vous... Car nous aurons une visite aujourd’hui !.. Oui !.. une visite qui vous fera plaisir !..

Il tourna vers elle ses prunelles fiévreuses, et sourit tristement.