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tout enflammée du premier scrutin de la Restauration. Les deux camps sont en présence ; avant trois mois, la lutte est déjà ouverte entre la politique de modération conciliante, qui s’essaie par un gouvernement indécis, et la chambre nouvelle, qui n’a eu qu’à naître pour faire rentrer dans l’ombre le ministère Talleyrand-Fouché, — qui a de la peine à se contenir, même devant le premier ministère de M. de Richelieu.

Qu’est-ce donc que cette chambre que l’histoire, après le roi Louis XVIII, a appelée la chambre introuvable ? C’était comme une résurrection improvisée de l’ancienne France, d’une France presque oubliée, disparue depuis vingt-cinq ans. Elle se composait, en grande partie, de gentilshommes de province, d’anciens émigrés, de magistrats et de propriétaires impatiens de prouver leur dévoûment. Ces nouveaux députés, hommes d’honneur et de sincérité, pétris d’illusions, avaient autant d’emportement dans leurs opinions que d’inexpérience dans les affaires. Étrangers les uns aux autres, ils se rencontraient pour la première fois. Il n’y avait entre eux d’autre lien que la communauté des passions, l’exaspération d’un royalisme victorieux et irrité. Ils arrivaient à Paris avec la conviction naïve qu’ils avaient reçu la mission de tout restaurer, de rendre leur autorité et leurs droits à la royauté, à l’église, à la noblesse, de réparer les spoliations révolutionnaires, — et d’abord d’exercer des représailles qu’ils appelaient des justices. Ils s’enhardissaient d’autant plus dans leurs violences qu’ils se sentaient encouragés, soutenus par le frère du roi, Monsieur, qui se créait déjà dans les Tuileries même une sorte de gouvernement occulte du royalisme, qui passait pour le chef et le prince du parti. Ils mettaient tout leur espoir dans le comte d’Artois, ce prince charmant et décevant de la Restauration qui échauffait leur zèle ; ils gémissaient des faiblesses du roi trop lent à « saisir le glaive de la Justice, » trop enclin aux ménagemens. lisse défiaient de tout, du duc d’Orléans, des bonapartistes, des libéraux ; ils ne pardonnaient pas à quelques-uns des ministres, à M. de Richelieu lui-même, au jeune ministre de la police, M. Decazes, qui avait déjà la faveur du roi, à M. Pasquier, ce qu’ils appelaient leurs complaisances pour tout ce qui semblait continuer la révolution dans le nouveau règne.

Chose bizarre ! ces ultras, — on leur donnait déjà ce nom, — n’étaient sûrement que de médiocres constitutionnels. Ils auraient même refusé, s’ils l’avaient osé, de prêter aux institutions nouvelles le serment qu’on leur demandait le jour où le roi inaugurait leur session. Ils subissaient la charte plus qu’ils ne l’aimaient, et s’ils l’acceptaient, c’était à la façon de ce brave Breton disant à M. de