Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/116

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
112
REVUE DES DEUX MONDES.

en fit immédiatement autant, mais avec plus de colère et plus de mépris encore :

— C’est une saleté !.. entendez-vous ?.. une grande saleté ! — s’écria le peintre d’une voix que la colère rendait tremblante, — Kurzanski vous le dit !.. et ce n’est pas le moins du monde un tableau saint !.. Kurzanski donnera l’ordre de faire jeter cette hérésie à la porte de la cerkiew !.. Entendez-vous ?

— Oui, répétait le dyak Sorok avec conviction, c’est une grande saleté !.. c’est une hérésie !..

Pour le coup, la commune était consternée.

Eh bien ! murmuraient entre eux les hommes, ne l’avions-nous pas dit tout de suite qu’il y avait quelque chose de louche dans ce tableau !.. Kurzanski n’a pas eu besoin de le regarder longtemps !.. il a vu tout de suite ce que c’était !.. et... c’était une hérésie !..

— Ce n’est pas une Madone qui est peinte là !.. c’est une hérésie !.. et le diable sait ce que c’est !..

— La belle affaire que l’autel de Nasta !.. Dire que nous l’avions tous dans l’idée, et sots que nous étions, personne n’osait en parler le premier !..

Kurzanski, posté devant le tableau, continuait à hocher la tête et à faire des gestes de dédaigneuse pitié.

Tout à coup une paysanne se détacha brusquement du groupe des paysans, et, se plaçant hardiment en face de Kurzanski :

— Ce tableau représente notre sainte Madone, la mère du Christ, entendez-vous ! cria-t-elle d’une voix ferme et pleine de reproches.

Tout le monde tourna la tête à cette apostrophe, et l’on reconnut Técla, une paysanne pleine d’expérience et de bon sens, qui par ses manières, son intelligence et sa fortune, appartenait à la société la plus aristocratique du village ; aussi était-elle la seule personne à Busowiska qui osât braver ainsi ouvertement un homme comme Kurzanski.

— Oui, c’est la sainte Madone ! répéta-t-elle en fixant sur le peintre ses yeux clairs.

Mais lui ayant jeté un regard dédaigneux à cette audacieuse :

— Ça !.. la sainte Vierge ? dit-il... Kurzanski n’a jamais vu de sa vie une Madone pareille. Et quelle Madone est-ce donc, s’il vous plaît ? car Kurzanski s’y connaît en icônes !.. — Est-ce la vierge de Pokrova ?.. la vierge Uspenya ?.. sainte Marie l’Égyptienne ?.. Est-ce la Blahowiszczenia ?.. Il les connaît toutes !.. Mais une vierge pareille à celle-ci,.. il n’en a jamais vu !..

— Parce que c’est Notre-Dame des moissons !.. répondit Técla sans se déconcerter :

— Ha ! ha ! ha !.. cria Kurzanski en ricanant... Une vierge,