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chez le tailleur de pierres, elle lui confia qu’elle désirait posséder une sainte vierge ; une sainte vierge sur une tôle, grande comme cela,.. et qu’on pourrait accrocher au haut du vieux frêne où s’arrêtait toujours Wasylek !.. Oh !.. elle ne demandait pas cela pour rien !.. Que le bon Dieu la préserve d’une hardiesse pareille,.. elle donnerait même, pour la posséder, son avoir entier !.. et tout en parlant, elle écartait sa chemise, retirait de sa poitrine un petit sac de toile, suspendu à son cou, comme un scapulaire, mais c’est en vain qu’elle essayait de défaire les nœuds de ficelle qui entortillaient son trésor, ses mains tremblaient trop fort.

Le peintre l’arrêta d’un geste, lui dit de serrer son sac, et lui demanda pourquoi elle désirait tant posséder ce tableau... Avait-elle fait un vœu ?

Enhardie, Nasta lui raconta alors toute son histoire, la mort de Wasylek et les révélations du pope au sujet des chérubins et de la milice céleste, son désir d’avoir une statue d’archange, et sa déception chez le tailleur de pierres.

Un sourire passa sur le visage du jeune homme en écoutant ce récit étrange. Il réfléchit un instant :

— Moi, je te peindrai une madone, ma bonne femme, et qui ne te coûtera rien ; seulement, elle ne sera pas peinte sur un morceau de tôle, mais sur une belle toile blanche, et tu ne l’accrocheras pas au haut du frêne de la route, mais tu pourras l’offrir à la cerkiew de ton village... Y a-t-il une église à Busowiska ?

Toute rouge d’émotion, Nasta l’écoutait sans pouvoir articuler une parole. Cette proposition l’abasourdissait, et pourtant il lui était pénible de renoncer à l’idée caressée depuis si longtemps d’un tableau abrité sous un petit toit, accroché au frêne de la grand’route !

Quand elle fut un peu revenue à elle, elle réfléchit que ce bon jeune homme était bien généreux et que c’était absurde à elle de faire la diflicile.

Oui, en effet, il se bâtissait justement à Busowiska une nouvelle cerkiew, qui serait terminée ces jours-ci,.. et il y faudrait certainement une sainte image, même que tous les cultivateurs du pays se cotisaient pour offrir, qui des chandeliers, qui un calice ou un ostensoire ; pourquoi n’offrirait-elle pas une madone ? Et vraiment, à présent qu’elle y songeait avec plus de calme, un tableau pareil serait bien plus en sûreté dans une église que sur une grand’route, exposé à toutes les intempéries de la saison. Il durerait, également, beaucoup plus longtemps, jusque dans les temps éloignés où, elle, Nasta, ne serait plus de ce monde. A cette pensée, une telle reconnaissance inonda soudain le cœur de la pauvre