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salutaires opposés à ses ambitions, qu’elle se laisse lier par l’Allemagne et l’Italie sur le continent, par l’Angleterre dans la Méditerranée : à ces conditions, M. Crispi ne demande pas mieux que d’être son ami. Si c’est le langage d’un ami, à ce qu’il assure, que dirait donc un ennemi ? Seulement M. Crispi ne s’aperçoit pas qu’avec ses évocations de la question romaine et ses consultations surannées, il ne parle plus que dans le vide, en politique qui prête un peu à rire aux hommes sérieux, — qui a perdu le fil des événemens.

Lorsque l’empereur Guillaume II, il y a un mois, commençait ses voyages par la Hollande, il ne voyait naturellement autour de lui que les fêtes et les démonstrations officielles ou populaires à Amsterdam comme à La Haye. Tous les dissentimens de parti se taisaient pour recevoir le souverain étranger hôte de la reine ; les affaires publiques restaient suspendues pour quelques jours. La Hollande cependant entrait déjà dans une crise qui était la suite des dernières élections et qui ne laisse point d’avoir sa gravité pour le pays. C’est par le fait un changement de politique qui se prépare dans des conditions assez laborieuses. Le ministère présidé depuis quelques années par M. de Mackay et vaincu au dernier scrutin avait ajourné sa démission pour éviter la coïncidence d’une crise intérieure, d’une sorte d’interrègne ministériel avec le passage de l’empereur allemand. A peine Guillaume II a-t-il été parti, il a remis ses pouvoirs à la reine-régente. La difficulté est aujourd’hui de le remplacer. Comment le remplacera-t-on ? c’est là précisément la question dont la solution dépend de la volonté de la reine, peut-être des influences qui s’agitent autour de la souveraine, sans doute aussi et avant tout de l’état des partis, de toute une situation créée par les élections.

Jusqu’ici le ministère de M. de Mackay, bien que de tempérament conciliant et d’inclinations à demi libérales, a vécu surtout avec l’appui des conservateurs de diverses nuances, d’une majorité composée de catholiques et de protestans antirévolutionnaires : c’est ce qu’on appelle en Hollande la « monstrueuse » alliance ; ce n’est après tout qu’une coalition des forces conservatrices née des circonstances, prolongée par les circonstances. Cette majorité suffisante peut-être, quoique un peu incohérente et peu nombreuse, elle a fini par se diviser et se décomposer à l’occasion surtout d’une de ces questions qui s’agitent aujourd’hui dans tous les pays, dans tous les parlemens : la question de la réforme militaire et de l’établissement du service obligatoire. Vivement discutée dans les chambres comme dans le pays, ardemment combattue même dans le camp ministériel, la réforme militaire proposée par le gouvernement est restée un objet de contestations passionnées et a mis la confusion dans les partis. Les divisions qui se sont manifestées dans les chambres ont eu nécessairement leur contre-coup dans les élections récentes. La lutte a été