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Le 8 mars11812, j’arrivai à bord de la Revanche, vaisseau-amiral anglaise J’y attendis assez longtemps l’amiral, qui avait été en ville chez l’ambassadeur marquis de Wellesley ; frère du futur duc de Wellington. Il ne revenait pas ; je m’impatientais beaucoup. Je craignais que l’on ne s’aperçût du travail que j’avais exécuté sur les barreaux de ma prison et que l’on ne voulût m’en punir. Enfin l’on me mit, avec mes domestiques, sur un canot du vaisseau et nous voguâmes vers Sainte-Marie.

La marée baissait ; la barre, formée à l’embouchure du fleuve le Guadalète, aurait pu nous faire chavirer, si nous nous étions obstinés à la franchir. Cela nous obligea de prendre terre sur la plage.

Un régiment français était près de là, à l’exercice. Nous approchons, c’était le mien, le 8e de ligne ! Dès que je fus reconnu par les soldats, ils quittèrent leurs rangs pour venir à moi. Mais le canot ne pouvait accoster, parce qu’il n’y avait pas assez d’eau. Alors les soldats entrèrent dans la mer et traînèrent, ou plutôt, portèrent l’embarcation jusqu’à terre.

Le combat de Chiclana avait eu lieu le 5 mars 1811, il y avait donc un an et trois jours que je n’avais vu le 8e. Je ne connaissais aucun des officiers supérieurs, puisque seul j’avais survécu à ce combat. Un des nouveaux chefs de bataillon, M. Philippon, m’offrit un logement chez lui. Les soldats voulurent m’y porter ; comme en triomphe. Je fus bien sensible à ces marques d’attachement des survivans, parmi ceux que, l’année précédente encore, je conduisais à l’ennemi. Elles me firent verser des larmes délicieuses. Le 9 mars, je fus faire ma visite au maréchal Soult, duc de Dalmatie, commandant en chef l’armée d’Andalousie. Il me demanda un rapport. Je lui remis, quelques jours après, un mémoire sur tout ce que j’avais vu, entendu, ou pu apprendre, pendant ma captivité. Le maréchal me dit, quelques jours après, qu’il en avait été très content. Il m’invita à dîner.

La conversation roula, en grande partie, sur ma captivité et sur l’armée anglaise.

Le maréchal me dit : « Vous avez été longtemps chez les Anglais, vous avez été en mesure de les entendre souvent. Je voudrais que vous me fissiez connaître leur opinion sur notre armée, sur nos généraux et, même, tout particulièrement, sur moi, mais franchement, sincèrement, et sans rien déguiser ? »

Je ne m’attendais pas à cette question. Je ne m’y étais nullement préparé, et, tout d’abord, me revint en mémoire l’histoire de Gil Blas de Santillane avec l’archevêque de Grenade. Je répondis :

— Les officiers anglais ont toujours parlé, devant moi, de