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cuisine. Plus tard, aussi, on me donna une couverture de laine, que la rigueur de la saison me contraignit de demander.

Ma chambre recevait le jour par deux embrasures de canon pratiquées dans un mur de vingt pieds d’épaisseur. Elles étaient grillées avec des barreaux de fer. Je voyais, par ces trous, des morceaux de la baie de Cadix, mais ces fenêtres étaient sans vitres. J’en étais réduit à subir un froid très rigoureux en hiver, ou à rester dans l’obscurité, quand le vent du nord me contraignait de boucher les embrasures avec ma couverture et mes draps. Je ne pouvais pas faire de feu, parce qu’il n’y avait pas de cheminée, et, aussi, parce que le peu de bois que l’on nous donnait était indispensable pour faire notre pauvre cuisine. Mes deux domestiques couchaient par terre, dans un coin. Jamais je ne pus obtenir pour eux une botte de paille. Outre mon domestique, qui s’était constitué prisonnier pour venir me rejoindre, j’avais un grenadier du 8e régiment, que l’on avait laissé avec moi, parce qu’il était très fort et me portait d’un endroit à un autre, à l’époque où je ne pouvais pas marcher. Ces deux hommes couchèrent donc toujours à terre, à côté de la cuisine. Nous appelions ainsi un coin de la casemate. La cuisine se composait uniquement d’un foyer, formé de deux briques arrachées du sol. Quand on faisait la soupe, la fumée nous étouffait, car elle ne pouvait s’échapper que par les embrasures, et fort souvent le vent la refoulait. Nous recevions, pour notre nourriture journalière, une demi-livre de bœuf salé et une livre et demie de pain, j’achetais tout le reste pour nous trois. Je dépensais beaucoup d’argent, tout en faisant fort maigre chère. J’avais payé un louis une poule, pour faire du bouillon, quand on traitait ma blessure à l’île de Léon ; un œuf coûtait un franc, le reste à proportion. Je gardai six mois les mêmes draps à mon lit, ce fut là ce qui me fut le plus pénible.

Je passais mon temps à faire ou à copier de la musique. On m’avait envoyé, de mon régiment, un porte-manteau contenant ma flûte, de la musique, des crayons et mon journal de guerre. Je complétai celui-ci et le mis au courant, j’achetai un registre pour le mettre au net ; ce travail fut, pour moi, une ressource bien grande.

Je lisais des livres que me prêtaient les officiers anglais du 67e, tant qu’ils demeurèrent à Cadix. Ensuite un prêtre espagnol me prêta les Sermons du père Bourdaloue, l’Histoire des Juifs, le Chemin du ciel et d’autres livres de ce genre. L’ennui me faisait trouver ces lectures délicieuses. J’étais souvent tracassé par les Espagnols, qui me considéraient comme un espion, surtout au moment où j’habitais l’île de Léon. À cette époque, et comme je