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sergent, que j’avais chargé de le soigner, la permission de se reposer au pied d’un arbre ; que le sergent l’avait quitté pour aller se faire panser, parce qu’il était blessé lui-même ; qu’il ne l’avait plus revu, mais que, quand les Anglais avaient occupé le champ de bataille, ses gens l’avaient ramassé là. Il m’offrit un lit dans la maison qu’il occupait à l’île de Léon. J’acceptai cette offre, inspirée par la reconnaissance. Il allait rentrer en ville, il voulut me faire porter à sa suite, dans une capote. Les Anglais se disposaient à le faire, mais les moins blessés, parmi les soldats de mon régiment, ne voulurent pas que je fusse porté par d’autres que par eux. Ce trait d’affection me toucha et je me laissai faire.

J’ai déjà dit que le champ de bataille était couvert de bruyères, de broussailles et même d’épines ; traîné, plutôt que porté, dans une capote, par des hommes affaiblis, j’étais en deux, et mon corps labourait la terre. La capote et mon pantalon ne purent me garantir longtemps des épines. Je souffrais cruellement, néanmoins je surmontai cette douleur, voulant suivre le colonel Busch, que l’on portait devant moi et qui pouvait nous protéger contre les Espagnols.

Avant de passer le canal de Santi-Petri, je vis le corps d’armée espagnol entassé dans une mauvaise position, adossé au canal, n’ayant pour moyen de retraite qu’un mauvais pont établi sur de grandes caisses. Si les Anglais avaient été battus, les Espagnols auraient été tous noyés, tués, ou pris, et peut-être l’île de Léon eût été enlevée du même coup. Comme aussi, si les Espagnols avaient secondé les Anglais, les Français auraient pu être contraints d’évacuer leurs lignes et d’abandonner le siège de Cadix.

A Barossa, comme à Medelin, le duc de Bellune s’était enlevé lui-même les moyens de vaincre. Il avait envoyé toute sa cavalerie et 3,000 hommes d’infanterie excellente à Médina-Sidonia, où il n’y avait point d’ennemis, au moment même où il se portait sur les Anglais.

La victoire sur cette arrière-garde eût été certaine, s’il avait conservé avec lui toutes ses forces, et si, le soir du combat, il avait envoyé sur le champ de bataille quelques compagnies de voltigeurs, il aurait ramassé les blessés des deux armées et tous les trophées et débris de ce sanglant combat. Les ennemis, qui avaient perdu plus de 2,000 hommes, s’empressaient de passer dans l’île de Léon, pendant que le maréchal Victor, se croyant perdu, se retirait de son côté.

Après m’avoir fait passer le canal de Santi-Petri dans une barque, on me fit entrer sous une tente où des chirurgiens pansaient des blessés. J’eus beau dire que j’étais déjà pansé, il fallut