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Le château du roi Maëlgoun était situé, comme au fond d’un précipice, dans une vallée étroite, environnée de montagnes hautes et sauvages. Au moment où le barde et la princesse entraient dans la salle, le roi siégeait sur son trône entouré de ses bardes et de ses chevaliers. Justement on amenait Elfinn chargé de chaînes, et Matholvik lui montrait la boucle de cheveux de Fahelmona, en accusant celle-ci d’infidélité. « Par Dieu, tu mens ! dit Elfinn, tu l’as volée par traîtrise. Je sais que l’âme de Fahelmona est aussi pure que la lumière du ciel ! Qu’on m’ôte ces chaînes, qu’on me rende mon épée, et je te le prouverai par les armes ! » En parlant ainsi, Elfinn était devenu beau comme le jour ; ses yeux luisaient comme des torches. Il parut à Fahelmona qu’elle le voyait pour la première fois. Son cœur battait à tout rompre. Elle voulut s’élancer du coin obscur où ils se tenaient cachés. Taliésinn la retint. Elfinn tua Matholvik dans le combat. Hors de lui, le roi Maëlgoun cria à ses hommes de saisir le vainqueur et de lui trancher la tête. Alors Taliésinn s’avança : « Tu ne tueras pas mon maître. Ton fils est mort justement pour avoir calomnié cette femme. La boucle a été dérobée à son sommeil. Cette femme est fidèle et sans tache ; j’en suis témoin. » Fahelmona se jeta aux pieds d’Elfinn en s’écriant : « Je ne te connaissais pas. Mais Taliésinn m’a montré qui tu étais ; il a réveillé mon âme par la douleur. Il m’a menée ici, et je t’ai vu dans toute ta beauté. Maintenant que le roi tranche ma tête ; car j’avais douté de toi. De mon sang rouge mon âme sortira blanche comme une colombe. Car maintenant je t’aime ! — Alors gloire à Taliésinn, dit Elfinn, il m’avait promis qu’un jour tu m’aimerais ! » Maëlgoun voulut faire saisir le couple triomphant ; mais une trombe furieuse s’engouffra dans la salle ; on crut que le château allait crouler, et tout le monde resta cloué sur place. — Parce que tu n’as cru qu’à la force et au mensonge, dit Taliésinn, rien ne survivra de ton château et de ta race — que ma harpe ! » Et il jeta sa harpe au milieu de la salle. Ils restèrent tous atterrés. Car la tempête augmentait et mugissait comme une cataracte.

Et Taliésinn sortit, suivi du couple fortuné, qui, dans l’éblouissement d’un revoir plus merveilleux qu’une première rencontre, n’avait rien entendu de la tempête. Cependant, comme ils gravissaient la montagne, le vent et la pluie cessèrent ; la pleine lune, sortant derrière deux cimes pointues, vint planer au zénith et versa sur les amans sa silencieuse incantation. Ils montaient attirés par sa lumière dans la magie d’une nuit de printemps et se regardaient comme transfigurés. Leurs yeux s’étaient agrandis ; leurs âmes, devenues transparentes sur leurs visages, se pénétraient et s’enivraient l’une de l’autre. « Sens-tu, disait-il, sens-tu, ô