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connais depuis longtemps et je te consolerai. Des mers et des montagnes et des rivières profondes, Dieu apporte la santé aux hommes fortunés. Quoique je sois petit, je suis hautement doté. Sois béni pour ton bon cœur ; le bonheur te viendra par moi. Je porte dans mes yeux les merveilles d’un monde lointain. »

Elfinn confia l’enfant à ses amis les bardes pour qu’il devînt barde à son tour. A peine sut-il parler, que Taliésinn étonna ses maîtres par son intelligence. Il paraissait savoir tout ce qu’on lui enseignait et bien plus encore. Rien dans la science de la nature et dans la science des événemens humains ne l’étonnait parce qu’il avait en lui la conscience innée des choses éternelles. Ce qui change toujours ne s’explique que par ce qui ne change jamais. A quinze ans, la sagesse druidique et chrétienne coulait de ses lèvres. A vingt ans, Taliésinn était devenu le maître de ses instructeurs ; il lisait dans le passé et prédisait l’avenir.

Un soir le prince héritier et son barde étaient assis ensemble sur une montagne. Les vagues invisibles qui se brisaient à leurs pieds faisaient dans le vent une faible musique entrecoupée de soupirs. Elfinn, plus triste que d’habitude, dit à Taliésinn après un long silence : « Pourquoi suis-je seul et misérable, quoique fils d’un roi puissant ? Pourquoi ne puis-je trouver de joie et de consolation qu’auprès de toi ? » Taliésinn se leva et montrant du doigt le ciel où tremblaient quelques étoiles : « — Tu ne sais pas qui je suis, tu ne sais pas d’où je viens ; mais je viens de très loin ; un jour, tu le sauras. — Alors, pourquoi es-tu venu ? — Mon doux maître, je suis venu sur la terre pour t’enseigner la consolation. — Comment me l’enseigneras-tu ? — Je te ferai trouver ta propre âme. — Comment la trouverai-je ? — Par l’amour. O Elfinn ! je sais ce qui a été et ce qui doit advenir. Par la mer je suis venu ; par la montagne je m’en irai. » Et les yeux du barde adolescent brillaient d’un tel éclat dans le crépuscule, qu’Elfinn l’écoutait plein d’admiration.

A quelque temps de là, Elfinn aima et épousa Fahelmona, fille du roi de Gwalior. Le cœur de la jeune femme était capricieux et changeant comme la mer. Elfinn adorait sa femme, mais comme il était gauche, qu’il manquait d’éloquence et de beauté, le cœur de Fahelmona restait indifférent à ce grand amour. Cependant Taliésinn connaissait l’âme de son maître ; il devinait celle de la jeune femme. Il excitait celle-là à l’espérance, celle-ci à la tendresse par le son de sa harpe et le charme de sa voix. Il lui disait : « Oh ! Fahelmona, tu te crois savante parce que ton esprit est prompt, mais tu ne sais rien ; toute-puissante parce que tu es belle, mais tu ne possèdes qu’un faible pouvoir. Depuis qu’il t’a vue, l’âme