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Marie-Antoinette, assure de l’Isle, s’acquittait à ravir de ce rôle de Cendrillon villageoise ; la comtesse Diane était la mère Thomas, Mmes de Guiche, de Polignac, de Polastron, les jeunes filles ; Esterhazy, Besenval, le comte de Coigny, etc., remplissaient les autres emplois.

Le 6 juin, la troupe des seigneurs joue trois petites pièces assez insignifiantes, les Sabots, Isabelle et Gertrude, de Blaise ; les Deux Chasseurs et la Laitière, d’Anseaume et Duni. Pour la première, Duni fit successivement appel à Cazotte et à Sedaine. Gazotte avait écrit le livret ; mais, forcé de s’absenter, il ne put y mettre la dernière main : Duni le lit, s’aperçoit qu’il ne vaut rien, et l’idée lui vient de s’adresser à Sedaine. Mais la chose ne marche pas toute seule. Sedaine a un musicien attitré, il ne travaille que pour Monsigny. Duni alors emploie ce joli stratagème : il lui dit un soir, à la Comédie, qu’il a dans sa maison un escalier qui menace ruine et demande conseil. Sedaine, qui se souvenait avec plaisir de son premier métier de tailleur de pierres, accepte, examine l’escalier, formule son avis. Après l’avoir fait dîner, Duni se met au clavecin et, sans affectation, chante le premier air des Sabots. Sedaine le trouve agréable, regarde le livret, qu’il déclare mauvais, indique des changemens et revient quelques jours après pour diriger les travaux de l’escalier. Duni lui chante un autre morceau : Sedaine refait les paroles, corrige une nouvelle scène. Les visites se succèdent, et, en même temps que l’escalier s’arrange, la pièce se métamorphose presque entièrement ; et Duni de répéter en riant qu’il lui en avait coûté un escalier pour avoir une paire de sabots. À dire le vrai, Duni n’en avait point pour son argent, car Sedaine était resté au-dessous de lui-même ; mais Marie-Antoinette montra une prédilection marquée pour cette comédie à ariettes que, sur son ordre, Trial, Michu, Mme Dugazon et Gontier vinrent aussi représenter à la cour.

La dernière tentative dramatique de la reine eut lieu le 19 avril 1785 : dans le Barbier de Séville, elle était Rosine ; le comte d’Artois, Figaro ; Vaudreuil, Almaviva ; le duc de Guiche, Bartholo ; M. de Crussol, Basile. Jouer une telle pièce un an après le Mariage de Figaro[1], quatre jours après l’arrestation du cardinal de Rohan, au milieu de l’émotion causée par l’affaire du Collier, admettre à cette fête Beaumarchais emprisonné jadis par Marie-Thérèse, comme auteur d’un libelle contre la reine de France, enfermé naguère encore à Saint-Lazare, lui accorder une telle marque de sympathie malgré les répugnances du roi, charger le comte d’Artois de lancer les répliques célèbres qui ont comme une

  1. Le Prince de Ligne et ses contemporains, in-18 ; Calmann Lévy, 2e édition.