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certaines cavernes, sont décrites à la vérité par Pline et Dioscoride, et il en est continuellement question chez les alchimistes grecs. Mais les uns et les autres confondent sans cesse sous un même nom les sels les plus divers, tels que les carbonates de soude, le sulfate de soude, le chlorure de sodium, certains sulfates d’alumine, et le salpêtre proprement dit. Aucune indication précise n’existe à cet égard dans les descriptions des anciens, qui ne possédaient en chimie ni nos moyens d’étude et de mesure, ni nos réactifs, ni nos procédés de purification. Nulle de ces efflorescences salines en particulier, ni même en général, n’est désignée par eux comme susceptible d’entretenir et d’activer la combustion. Le hasard aura sans doute révélé à quelque manipulateur la propriété comburante du salpêtre, et elle sera demeurée plus ou moins longtemps à l’état de secret de magie ou de prestidigitation, jusqu’au jour où un inventeur plus hardi en fit un artifice de guerre.

Autrefois les découvertes scientifiques commençaient ainsi dans le silence et le mystère ; puis elles apparaissaient tout d’un coup dans la pratique, comme des faits acquis depuis longtemps, sans que l’on pût remonter à leurs origines. Callinicus, au VIIe siècle, fut le propagateur de la découverte du salpêtre et de ses propriétés comburantes ; mais les Grecs la conservèrent soigneusement cachée. S’ils parlent volontiers du soufre, de la poix et du pétrole, ingrédiens des anciens projectiles incendiaires, en revanche ils ne prononcent jamais le nom de salpêtre, seul agent capable cependant de communiquer au feu grégeois son pouvoir caractéristique.

C’était là un secret d’État. La chose était possible alors ; elle ne le serait plus aujourd’hui, les aptitudes spécifiques d’un agent ne tardant guère à en révéler la nature. En effet de notre temps, chaque nation civilisée possède des savans au courant des propriétés des substances et prompts à tirer toutes les conséquences des faits observés et à deviner la façon de reproduire tout fait dont la constatation positive est établie. Un semblable corps de doctrines et d’hommes expérimentés n’existait pas autrefois, et c’est ce qui explique comment un grand secret scientifique ou pratique demeurait si longtemps caché. Mais cette obscurité ne pouvait être éternelle.

Vers le temps des croisades, le secret tomba, comme il finit par arriver inévitablement, dans le domaine public. Il fut connu des musulmans, qui en généralisèrent l’emploi dans la guerre de campagne, ainsi qu’il a été dit plus haut : la composition du feu grégeois se trouve dès lors décrite en détail dans les écrivains arabes du XIIIe siècle. A la même époque, elle fut aussi exposée en