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ces matières ne peuvent plus être éteintes par une simple affusion d’eau. Le soufre, en particulier, communique aux compositions où il entre une combustibilité plus grande ; une fois fondu, il s’enflamme à une température plus basse que les huiles ou le charbon, et il résiste mieux au refroidissement : de là l’efficacité des mèches soufrées. C’est aujourd’hui une expérience de cours que d’éteindre dans l’éther un charbon rouge et de l’en retirer aussitôt pour le plonger dans le sulfure de carbone, où il s’enflamme à l’instant.

On remarqua bientôt que les feux produits par les substances incendiaires peuvent être éteints en couvrant les objets de sable, de terre sèche ou mouillée, et même de fumier ; procédés qui sont restés en usage, même de notre temps, contre les incendies de pétrole et de matières grasses. Lorsqu’ils étaient limités, on étouffait aussi ces feux avec des peaux de bêtes fraîches et encore humides.

Ce n’est pas tout : il convient de parler d’un autre procédé très usité autrefois, mais dont nous comprenons mal aujourd’hui l’efficacité. Les anciens, en effet, croyaient avoir observé que le vinaigre et l’urine éteignent les feux de résine et d’huiles combustibles. C’était là une opinion universelle. Énée, Théophraste, Héron, Philon, Vitruve, Pline et bien d’autres signalent également ces substances parmi les corps capables d’éteindre le feu. Nul d’entre eux, d’après Plutarque, n’est plus fort que le vinaigre ; « il domine toute flamme en raison de son pouvoir réfrigérant. »

Le vinaigre avait pour les anciens des propriétés merveilleuses : il servait à fendre les roches préalablement échauffées, dans les mines et dans les montagnes. C’était le dompteur de toutes choses (domitores rerum), opinion fondée sur une aperception confuse des réactions chimiques des acides. L’urine putréfiée était aussi employée dans diverses industries ; sans doute parce qu’elle empruntait à l’ammoniaque qu’elle renferme quelque chose de la puissance des alcalis ; c’est à ce titre que, dans les recettes antiques, on l’associait au vinaigre, par une vague analogie.

Cependant, les chimistes modernes sont unanimes à déclarer que le vinaigre et l’urine ne doivent guère être plus efficaces que l’eau, pour éteindre les incendies ordinaires. Ils ne le sont pas davantage contre les feux de poix ou de pétrole. Peut-être les mélanges ammoniacaux auraient-ils quelque vertu spéciale contre les compositions sulfurées, en raison de leur action sur l’acide sulfureux. Toutefois, il y a autre chose au fond de ces récits : en traduisant les mots anciens par leurs équivalens modernes, on paraît avoir fait dans tout ceci quelques confusions. En ce qui touche