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l’exclusion des illettrés irlandais et d’embarrasser les libéraux en intéressant le sentiment protestant à la guerre qu’il engage. Tout cela peut être plus ou moins habile. La question est de savoir quelle sera la fortune de cette œuvre industrieuse et perfide dans le parlement et même, dans le cas où elle serait acceptée, si elle réussirait à détourner le mouvement qui menace le ministère conservateur, à désarmer le libéralisme anglais.

Il y a de la comédie dans la politique, il y en a un peu partout et à propos de tout, dans le Nouveau-Monde comme dans l’ancien, à Washington comme dans les plus vieilles capitales de l’Europe. Ce qui semble préoccuper pour le moment le monde américain, ce n’est pas le bill Mac-Kinley : — l’expérience du bill Mac-Kinley suit son cours et produira ce qu’elle pourra ; ce n’est pas non plus l’incident des Italiens exécutés sommairement à la Nouvelle-Orléans : c’est déjà une vieille histoire. Le cabinet de Washington s’est lestement dégagé vis-à-vis de l’Italie en déclinant toute compétence et toute responsabilité au nom du gouvernement fédéral. Il ne s’agit point de cela, il s’agit d’autre chose. La vérité est qu’il semble depuis quelque temps se jouer une comédie singulière aux États-Unis, autour des deux hommes qui ont le premier rôle dans les affaires américaines, qui restent au moins les chefs ostensibles du parti républicain si durement atteint aux dernières élections du congrès.

Ce n’est point un mystère qu’entre le président régnant de l’Union américaine, M. Harrison, et le secrétaire d’État, M. Blaine, l’harmonie est loin d’être complète. Depuis la dernière élection présidentielle où M. Blaine, par des considérations de circonstance, s’est cru obligé de s’effacer devant M. Harrison et de se contenter du poste de secrétaire d’État, président et ministre sont dans le gouvernement des alliés de nécessité, des rivaux d’influence et de situation. Pour se voiler du décorum officiel, l’antagonisme n’est pas moins réel et profond entre eux. La cruelle défaite essuyée aux dernières élections du congrès par le parti républicain qu’ils représentent, loin de les rapprocher, les a peut-être encore plus divisés, sans décourager leurs ambitions. M. Harrison, depuis qu’il est entré à la Maison-Blanche, garde malgré tout l’arrière-pensée d’y rester par une seconde élection : il ne s’est signalé par aucun acte fait pour le populariser ou pour révéler en lui une intelligence supérieure ; mais il a le pouvoir et il compte sur le temps, — il a encore un an, — pour ramener l’opinion plus qu’à demi conquise par les adversaires des républicains et du protectionnisme. M. Blaine, dans son poste de secrétaire d’État, est visiblement resté l’homme de tête du gouvernement poursuivant avec une tenace énergie une politique assurément exclusive et dangereuse pour l’Europe, mais faite pour flatter l’orgueil américain. C’est lui qui, l’an dernier, réunissait à Washington un congrès de tous les États du Nouveau-Monde