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Le gouvernement provisoire n’avait pas attendu pour relâcher son otage, que le maréchal Radetsky fût rentré en vainqueur à Milan. En gagnant la frontière suisse, M. de Hübner entendit un vieillard italien s’écrier au milieu d’un groupe de paysans : « Quand donc viendra ce Radetsky que Dieu bénisse ! Il nous fait trop attendre. » Les idées conservatrices ont pour défenseurs naturels les paysans et les femmes ; les gouvernemens absolutistes ont tort de s’imaginer que ces deux forces suffisent à les garantir de tout péril, et les gouvernemens libéraux ont quelquefois l’imprudence de ne pas assez compter avec elles. M. de Hübner, en arrivant à Vienne, n’y trouva partout que trouble, désarroi et confusion. Il fut témoin de la révolution du 6 octobre, à la suite de laquelle l’empereur Ferdinand et la famille impériale se retirèrent à Olmütz, abandonnant la capitale aux tribuns et aux étudians. M. de Hübner n’avait pas su sortir de Milan assez tôt ; il réussit à sortir de Vienne, non sans courir quelques dangers, et il en conclut qu’en temps de révolution, les sages doivent avoir toujours dans leur tiroir un passeport visé, ainsi qu’un ou deux rouleaux de napoléons, et se faire une règle de ne jamais coucher que dans une maison à deux portes.

Si le désordre régnait dans la rue, il était encore plus dans les têtes. Les uns ne songeaient qu’à se mettre en sûreté ; d’autres conseillaient de capituler avec l’émeute ; les plus habiles n’avaient que des expédiens à proposer ; soit par nécessité, soit par effarement, on vivait au jour le jour. La situation semblait désespérée. L’assassinat du ministre de la guerre, comte de Latour, avait jeté l’épouvante parmi les hauts fonctionnaires ; ils avaient tous déserté leur poste, à l’exception toutefois du ministre des finances, le baron de Krauss, qui étonna la cour et la ville par son courage passif et se comporta dans ces jours sinistres comme un véritable héros de la bureaucratie.

Ce petit homme corpulent, au teint pâle, aux joues pendantes, à l’œil pénétrant et doux, avait la physionomie d’un saint, phénomène rare dans le monde administratif. Il déclara qu’il ne pouvait vivre loin de ses bureaux, il s’obstina à rester à Vienne, et il parvint à empêcher le pillage de la Banque nationale, des magasins et des caisses publiques, A la vérité, ses procédés n’étaient pas très orthodoxes. Il avait su se concilier les étudians, il entretenait avec eux des relations courtoises, presque affectueuses. « Ce sont des enfans, disait-il, mais de bons enfans. » Il les détournait de leurs méchantes entreprises par de belles paroles, des plaisanteries, d’amicales remontrances. Avaient-ils besoin d’argent, il leur faisait des avances sur les caisses de l’État ; le comité démocratique lui-même avait part à ses libéralités et tout se passait en douceur.

De temps à autre, on le voyait arriver à Olmütz, et il racontait avec